![]() Ma femme est bipolaire, cyclothymique et sporadiquement borderline. Le diagnostique officiel date de 3 ans mais nous nous battons depuis près de 10 ans contre cette pathologie. Elle en subit les affres depuis l’adolescence sans le savoir à l’instar de presque tous les bipolaires. Ce n’est pas soignable. On ne peut qu’essayer à apprendre à vivre avec. Mais je ne vais pas parler de notre passé, ni d’elle en particulier. Mais de manière plus générale. Les bipolaires ne sont pas normaux. Ils sont supranormaux. Ils vivent tout de manière intense. Ils sont drogués aux sensations fortes qu’elles soit négatives ou positives. Ils vont faire du sport à outrance, baiser avec excès, se mettre en colère de manière démesurée et répétée, faire de la cuisine pour 30 personnes au lieu de 4, se mettre en danger, vouloir fusionner avec leur amant, sublimer leur amour au delà de la compréhension, vouloir rendre les choses géniales pour leur entourage ou souhaiter les détruire dans l’injustice la plus pure. Ils sont intelligents, capable de mentir aux autres et à eux-mêmes, de s’adapter pour mieux manipuler. Leur dépression est aussi profonde que leur plaisir ou leur colère. Quand ils sont « down », on ne peut imaginer la noirceur qu’ils ressentent. D’où le nombre important de tentative de suicides.
La palette de symptômes connexes est large : anorexie mentale, boulimie, achat compulsif, cleptomanie, hystérie, mythomanie, nymphomanie, schizophrénie, TOC et j’en passe. Ils n’ont pas tous ces symptômes. Leur besoin de sensation les pousse à mélanger aussi les goûts : le sexe avec l’annihilation, l’amitié avec le sexe, l’alcool pour oublier ou exacerber, la drogue pour se calmer ou s’envoler... Leurs rêves sont grandioses à l’image des plus beaux romans ou films romantiques ou d’action. Leur énergie positive n’a d’égal aussi que le génie dans la création, la capacité de concentration et la réussite dans le travail. Les bipolaires ne peuvent être autrement que nombrilistes. Enfermés dans leur tête, le seul moyen d’interaction ne peut se faire que par les sensations fortes. Le nombrilisme, l’égocentrisme, ne sont pas un reproche ni un défaut dans ma bouche. C’est juste un état de fait. Beaucoup de personnes sont égoïstes sans être bipolaire. Et les bipolaires ne sont pas égoïstes. Ils sont simplement englués dans leur esprit et le seul moyen de sortir de la boue mentale est de mettre le pied à fond sur l’accélérateur. Ils peuvent vous aimer passionnément, ou du moins le pensent-ils, mais ils ne peuvent le faire autrement qu’en vous instrumentalisant. Il faut tirer le jus au maximum du partenaire. L’amour même serein doit être extraordinaire ou ne pas être. Mais cette quête d’extraordinaire leur fait oublier l’autre. La communication se fait par des canaux que nous vivons nous de manière plus anodine mais que eux vivent électriquement. Et quand je dis « électrique » c’est le mot. Ils font passer des sentiments ou des informations à 380 volts alors que nous ne pouvons accepter qu’un petit 12 volts. Pour exemple : les scènes de ménage. Un couple classique peut certainement s’invectiver fortement. Cela dure combien de temps ? 1 heure, 2 ? Allez je vous donne 4 heures d’engueulade plus une journée de tirage de gueule. Voire quelques semaines d’un problème de fond non résolu qui va finir par trouver un compromis ou une solution. Avec une personne bipolaire, une scène de ménage peut être déclenchée par la simple phrase « est-ce que je te ressers des spaghettis ? » et durer 24 à 48 heures non stop. Je n’exagère pas : insultes, reproches, pause en tirant la gueule, casser des choses, fuir de la maison, privation de sommeil, demande de divorce, pause en s’enfermant dans une pièce avant de ré-attaquer avec vaisselle qui vole, papiers importants qui brulent, hurlement... Ce que vous répondrez par la colère vous sera resservit 6 mois plus tard. Si vous ignorez sa colère, on vous reprochera votre manque de cœur dans 3 semaines. Si vous tentez d’argumenter, on vous dira que vous êtes stupide et que vous l’avez toujours été. Si vous êtes gentil, on continuera à vous piétiner. Et ils sont souvent satisfaits, après coup, du contrôle d’eux-mêmes car ils avaient l’envie irrépressible de vous planter un couteau dans le ventre et de touiller en vous regardant dans les yeux et qu’ils ne l’ont pas fait. Donc « ne te plains pas ». Autre exemple. Certains bipolaires sont drogués du sexe. Pendant leur crise maniaque, ils vont coucher avec n’importe qui en prenant des risques dans le contexte ou pour leur santé (physique et mentale). Ensuite, il ou elle reviendra vers son compagnon en disant que c’était génial, qu’il ou elle (ou eux) « baise mieux que toi », que c’est normal d’avoir envie de ça et d’aller chercher ce que leur compagnon ne peut leur apporter. C’est la double peine. (Je précise que je n’ai pas subit cela ceci dit). A force de cumuler, oui, le compagnon de bipolaire est vraiment meurtri. Il a beau aimer la personne, il a beau se raisonner que c’est une pathologie, il a beau essayer de faire abstraction des frasques, cela use, blesse voire annihile l’envie, l’amour, le courage, la patience. Le sentiment d’injustice devient fort. On s’enferme dans sa tête. Il deviendra même le déclencheur des crises maniaques contre son gré. Les bipolaires ne fonctionnent pas avec la même échelle que nous. Nous pourrions avoir l’estimation de nos sensations basiques, bonnes ou mauvaises, comme celle de Richter sur 7 degrés. L’échelle de Richter des bipolaires est sur 20 degrés. Quand ils vous balancent la moitié de leurs envies, colères, joie etc…ils vous envoient du degré 10 alors que votre capacité d’absorption maximale est de 7. Les bipolaires sont aptes à vous emmener sur des chemins de traverses inaccessibles aux communs des mortels. Vous avez des fantasmes ? Ils sont une réalité pour les bipolaires. Car si j’ai connu des crises négatives, j’ai aussi connu le plus intense des paradis. La symbiose avec un être qui vous trouve parfait, qui accède à toutes vos envies, qui semble vous comprendre, ou chaque phrase que vous prononcez déclenche rire et compréhension et ou chacune de vos créations est jugée comme une œuvre d’art. Mais je n’écris pas tout cela pour seulement me vider. Je veux donner une image de cette pathologie, de cette capacité de l’extrême que vivent les bipolaires. Car il y a encore autre chose qui pourrit la vie des bipolaires et que j’ai nommé «la zone grise». La zone grise est ce qui est pour nous la « normalité », une forme de tranquillité, de quiétude et de petits plaisirs : un café en terrasse, préparer a dîner en famille, s’extasier devant les mimiques de ses enfants, se promener avec eux. Juste être bien, serein, tranquille. Hé bien, pour une personne bipolaire cela peut être un cauchemar. Une zone de brouillard, de ralenti, sans sens, sans intérêt. Ils vont agir correctement mais leur regard est las. Et si on le fait remarquer : on vexe, souligne leur incapacité à profiter, à se décontracter. Cette zone grise est une double peur : celle de se rendre compte de leur décalage et c’est également le spectre de la dépression, du « down » qui les mine tant. Un bipolaire qui cherche à se soigner veut garder des up sans avoir les downs. Il veut bien essayer de se contenter de up moins haut, mais surtout pas de downs. Quand il commence une thérapie et des médicaments de contrôle de l’humeur, l’atterrissage dans la réalité est très dur. Car si on contrôle l’humeur, ils ne peuvent s’empêcher d’analyser la morne réalité. La zone grise reste grise. Ils ne peuvent s’en contenter très longtemps. Les médicaments qui contrôlent l’humeur sont aussi toxiques et difficile à doser. Ainsi, au bout de quelques temps, les manies reprennent le contrôle et le bipolaire s’y plonge avec délice et/ou folie. Je souhaitais écrire tout cela surtout pour me jeter des fleurs et réclamer ma putain de médaille. Ma personnalité fait que je suis le compagnon idéal de la personne bipolaire. Je suis un masochiste social : apte a recevoir des coups très forts moralement en cas de crise. Je suis créatif et pervers : apte à nourrir et suivre le ups les plus fantasques. Je suis sensible et empathe : apte à détecter, surfer sur la vague des émotions. Je suis aussi dominant : apte à cadrer, discipliner une personne en crise. Je suis donc « mipolaire » : centré comme l’équateur entre les personnalités, les crises qui jaillissent des pôles. A ce titre, le bdsm est une des réponses à la bipolarité. Il donne un cadre pour contrôler l’humeur, des objectifs de vie, procurer des sensations extrêmes, forcer le lâcher-prise, ressentir une forme de sérénité. L’emprise doublée à l’osmose permet au bipolaire d’avoir ses sensations extrêmes dans un environnement mental contrôlé. Les compagnons de bipolaire ne sont que l’interface idéale entre eux et le monde. Un monde qu’ils créent selon leur envie ou besoin d’ailleurs. Ils sont un tigre sauvage et nous le dompteur dont ils feront qu’une bouchée si on perd notre vigilance. La bipolarité use, détruit, autant le bipolaire que son compagnon et l’entourage. Plusieurs fois, je me suis retrouvé comme handicapé, épuisé, incapable d’avancer, dans le désarroi le plus total. J’ai perdu quelques morceaux de moi et il est compliqué de se reconstruire après cette sempiternelle guerre. Le bipolaire sait qu’il a besoin de plusieurs personnes pour le faire vivre. Il n’hésitera pas à cumuler les aides sous différentes formes. Que ce soit de l’anodin (yoga, cours de cuisine), au sérieux (psychiatre), mais aussi la famille, les amants divers et les amis. Et le plus dur c’est que quand vous vous écroulerez, il peut se passer deux choses : soit une prise de conscience de son exagération menant à la dépression et quelque fois à la tentative de suicide. Ou un déni et il fera un caprice comme un enfant qui a cassé son jouet et cherchera bien vite un moyen de le remplacer. Pas de juste milieu. Après plusieurs années de combat qui semblait perdu, dans une période ou j’avais besoin de me ressourcer, de m’extirper de ma vie conjugale, je me suis inscrit sur Fb sur des groupes bdsm. Et pourquoi celle qui devint ma soumise est elle aussi bipolaire ? Masochisme ou destin ? Et ce qui devait arriver arriva. Une crise maniaque a fait exploser notre relation. Que faire ? Que dire ? Un énième échec qui me fait sombrer et me poser la question «est-ce que je n’ai pas suffisamment donné ?». Ou accepter que je suis abonné à ça, voire que je le recherche, drogué moi aussi à ces sensations extrêmes. Ma conclusion est : ami(es) bipolaires prenez soin de votre compagnon. Il n’a pas la même capacité que vous. A un moment il sera cassé au delà de la réparation. Et vous vous perdrez aussi. Prenez soin de lui ou d’elle. Prenez conscience des ups qui ne sont pas nécessaires. Apprenez à vivre simplement dans la joie de vos enfants ou la quiétude du soleil qui caresse doucement votre peau. Plongez dans le bdsm mais choisissez un dominant qui connaît aussi votre pathologie, ses ressorts et son essence. Sans pour autant croire qu’il sera apte à tout supporter. P.S. : Je suis en ce moment sur le fil du rasoir. Dans le doute. Certain que mon masochisme doit s’éteindre alors qu’il a été amplifié. Abattu par des années de combat qui ne peuvent être gagné. Mis en échec, vaporisé, par un énième cyclone qui a emporté mes espoirs, ma renaissance et mon coeur. Quelques ultimes coups de reins m’ont permis de réagir, m’adapter. Mais pour combien de temps ? J’ai l’impression d’être Heraclès combattant une hydre au corps de sirène, fascinante et mortelle. Mon épée est le bdsm. Mes flèches mon intellect. Mais j’ai un genou à terre. Je ne suis pas sur d’être le héros de la situation. Mise à jour mai 2017 Ce texte a été écrit en janvier 2017 à la période la plus noire de la bipolarité de ma femme ainsi qu’une crise terrible de ma soumise de l’époque. J’ai touché le fond à ce moment et mon être s’est effondré puis adapté. Vous trouverez une part de l’évolution dans le texte La résurgence de la bête. Depuis ma femme a reprit le contrôle d’elle-même et a radicalement changé. J’ai redécouvert une femme pétillante et forte. J’ai retrouvé de l’énergie pour la soutenir. Nous entretenons une vie de famille sereine et une connexion D/s. Elle me soutient totalement aussi dans ma relation avec ma soumise Gwendoline (que j’embrasse au passage. Les textes t’évoquant sont en gestation). J’ai définitivement perdu mon ex soumise, Phénix, qui a subit un down assez fort. Je n’ai pas réussis à lui redonner l’envie de moi. On peut résumer par le fait que j’ai raté mon emprise. Mais elle va beaucoup mieux en ce moment. Elle a retrouvé sa joie, son énergie. Elle a un maître qui semble la satisfaire au mieux de ses attentes et je leur souhaite le meilleur. Ainsi, pour conclure sur la bipolarité, que vous soyez atteint par cette pathologie ou que vous soyez un compagnon de bipolaire : ne lâchez pas. Mise à jour Janvier 2019 La bipolarité m'a tué. 10 ans de souffrance commence à s'achever par la séparation d'avec ma femme. Ce fut difficile de demander le divorce et de poursuivre la démarche. Non pas à cause de l'amour ou de ma volonté d'aider une personne malade. Non. Mais j'étais devenu l'ombre de moi-même et j'ai eut énormément de mal a résister à la vindicte de ma futur ex-femme. J'ai eut droit au pire alors que je pensais cela impossible. Nous sommes séparés. Elle a prit un appartement le 1er janvier. L'entente est cordiale car j'ai réussit à lui tenir tête. Mais ce n'est pas sans blessure. Alors que je pensais me sentir libéré, je suis encore groggy. Il me reste tellement de choses à éponger autant financièrement que moralement. Elle ne se rend pas compte du mal au-delà de la réparation que la bipolarité a fait. Elle en souffre physiquement mais la conscience d'avoir meurtri la personne qui la soutenue est très ténue. Je m'aperçois petit à petit des réels dégâts en moi. J'étais loin de la vérité quand j'ai écris ce texte pourtant clairvoyant en 2017. J'ai la garde provisoire des enfants. Je me suis d'abord battu pour eux. Je me suis oublié et il faut maintenant que je ramasse mes morceaux pour voir s'il reste un puzzle viable de moi-même.
1 Commentaire
Galathee
9/4/2019 06:57:36
Bon courage.....deux mots simples mais sincères.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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