![]() Selon Hegel, dans la dialectique du maître et de l’esclave, il n’y a que l’esclave qui évolue. Peut-être faut-il expliquer pourquoi. Il serait prétentieux, en un seul article, de résumer la philosophie d’Hegel. Non seulement je n’ai pas le bagage intellectuel pour ce faire (on s’attaque à Hegel à la cinquième année de philo en université) mais, en plus, il faudrait aussi évoquer Levinas et Kant qui s’opposent aux conclusions d’Hegel. Je vais donc simplement tenter une réflexion sur ce simple thème. Tout d’abord l’écrit d’Hegel, malgré son titre, ne traite pas en premier lieu de l’esclavagisme mais de la lutte de deux personnes pour la reconnaissance. Une analyse dont l’analogie s’adapte au bdsm autant qu’aux relations sociales. A) Ne soyons pas trop b'Hegel
Tout commence par la bataille de la reconnaissance entre deux individus. Car l’objet du désir c’est autrui et chacun veut être reconnu par l’autre. Ainsi le gagnant se voit attribuer le statut de maître et l’autre d’esclave. L’un a su prendre un risque et gagne, l’autre capitule par peur de la mort. Le gagnant ne tue pas le vaincu car il en a besoin pour être reconnu. Dès le départ la dépendance du maître à l’esclave est inscrite. Le maître représente une autorité mais il exprime surtout un besoin qui ne sera jamais satisfait. Il ne fait que consommer le fruit du labeur de l’esclave. De son côté, l’esclave agit en transformant la nature et devient le seul qui acquiert de l’expérience. En transformant la nature, il prend conscience de lui-même dans l’adversité. Peut-être pourriez-vous penser que si l’esclave transforme la nature et évolue, le maître évolue aussi en agissant sur l’esclave. Mais en fait, c’est la négation de l’être par le maître qui permet à l’esclave d’avoir conscience de lui-même. Même si le maître peut agir sur l’esclave, ce dernier n’est qu’un objet. Il ne peut donc pas se retrouver. L’esclave voit dans son maître un être et aspire à le devenir. Ainsi on parle de « désirer le désir ». L’esclave a donc cette double opportunité pour évoluer : se retrouver soi-même face à l’objection de son être et apprendre le désir par le modèle auquel il aspire : son maître. C’est pour cela qu’en résumant, on déduit que le maître n’évolue pas alors que l’esclave si. J’espère ne pas avoir écorné la pensée Hégélienne en la récapitulant ainsi. B) Maitre ou ne pas mettre Le monolithisme du maître est souvent, consciemment ou non, le modèle que suive les dominants. Les phrases « je veux », « j’exige », « je sais » poussent à cet état. Cette attitude doit donner l’impression de contrôle et de confiance en soi qui fait ployer le/la soumis(e). Ce sentiment est renforcé quand on utilise des techniques de domination mentale comme l’insulte, l’humiliation (parce que, oui, le langage crue, l’humiliation par les paroles ou une exhibition induite, sont des techniques et pas seulement des envies). Vous me voyez venir : je suis totalement contre cette attitude hermétique. Car je pars du postulat que le maître doit aussi évoluer. Et ce pour plusieurs raisons :
Ainsi, il ne faut pas oublier que le/la soumis(e) n’est pas un objet mais un être. Philosopher c’est bien mais retombons aussi un peu sur terre. Les humains sont égaux. Personne n’est le roi du monde. Il n’y a que les fous pour le croire. Je pense qu’il est préférable de d’être quelque fois moins sûr de soi, voire d’être mis en porte à faux, plutôt que de rester dans sa citadelle et devenir imbus de soi-même. Car, c’est malheureusement souvent le cas. La confiance en soi devient le réflexe du « paraître » plutôt que « d’être ». L’œuvre d’Hegel se veut jusqu’au-boutiste et universelle. C’est souvent ce qu’on lui reproche. Sa conclusion : l’histoire humaine s’est construite sur la violence. C’est ce qui a donné d’ailleurs les bases individualistes de la société orientée sur la compétition. Alors que l’on croit dur comme fer que c’est la loi de la jungle qui dirige le monde, on oublie que c’est la coopération qui a assuré la survie de l’espèce humaine (comme celle des animaux). Mais je m’éloigne du sujet : la relation de deux individus. L’un maître, l’autre soumis. Le premier, passif, n’est que dans le paraître. Le second, contraint, touche son être profond. Le maître peut assouvir son désir mais l’esclave devient humain en désirant le désir. Dans l’absolu, le travail du maître et donc d’aider la soumise à apprendre à désirer. Si le maître considère sa soumise comme un être, et non comme un objet, alors non seulement il obtient la reconnaissance mais aussi la complétion du désir comme récompense supplémentaire. Je pense donc que même si comme le dit Hegel, la relation vitale est basée sur la violence, cette dernière n’est qu’un médium. On peut donc en utilisant une forme de violence obtenir un cercle vertueux ou chacun des êtres serait heureux de son rôle dans une reconnaissance mutuelle. Si un maître se considère comme omnipotent, sûr de lui, il ne peut qu’être solitaire et s’emprisonner. En fait tout découle sens du mot « maître ». Aristote décrit bien que l’esclave est un objet. Mais si on considère que le rôle du maître est de faire évoluer, il devient un « magister » (maître d’école) et non pas un « dominus » (maître d’un château, d’un état…). Le but alors du magister est de prendre plaisir à voir son élève s’élever. Il obtient un nouveau sens à sa vie. Pas seulement d’assouvir ses désirs directs, mais à son tour d’agir et de transformer ce qui l’environne : son esclave. Il faut penser le bdsm comme deux personnes qui se respectent, se reconnaissent, veulent le bien de l’autre, mais qui acceptent un rôle dédié. L’un renonce à sa liberté de penser et d’agir et obéit, se discipline se libérant ainsi des soucis autres que celui de satisfaire son maître. L’autre endosse la responsabilité d’une vie. Celle de son esclave à qui il doit protection, éducation. Un couple BDSM c’est un partenariat avec des rôles complémentaires. Ainsi il n’existe pas de maitre sans soumise (ou esclave). Je fais là un petit clin d’œil à tous les pseudonymes comportant le mot « maitre » ou dérivés mais qui sont en recherche de soumise. Oui, messieurs, quand on est seul on perd son grade. Et d’ailleurs ce grade ne vous ait donné que par votre soumise. La soumise d’un autre n’a pas à vous appeler maitre. De la même façon, personne ne peut vous entrainer à devenir maitre et vous affubler d’un titre. C) Consentir à ne pas être consentante Seconde partie de ma réflexion où je vais sembler dire le contraire de précédemment. Le maître doit évoluer, considérer sa soumise comme un être. Soit. C’est la ligne directrice, l’horizon qui faut garder en tête. Mais dans l’action ponctuelle, ceci peut et doit changer. Toujours dans la réflexion d’Hegel, si on veut que la soumise évolue il faut quelquefois, voire souvent, ne pas lui laisser le choix pour lui donner l’opportunité de toucher son moi profond. Le consentement éclairé est vital en amont de la relation. Le safeword toujours possible durant l’action. Mais si on veut que le système fonctionne, certains moments d’actions dépassent le consentement. Il est nécessaire que la soumise ait l’impression de perdre sa liberté. C’est dans ces moments que ses sensations sont les plus fortes et mènent au subspace et plus tard à une évolution, une découverte et un renforcement de son être. Il faut donc prévenir la soumise pour qu'elle consente à ne pas être consentante. C'est le lâcher-prise, la volonté du maitre qui efface la sienne. Oui, vous qui me connaissez un peu, l’humaniste du bdsm, j’arrive à la conclusion que nous devons dépasser le consentement et les limites. C’est pour cela que je mets la notion de confiance au-dessus de celle de consentement. Je vais être plus précis : il y a un risque. Ce risque c’est le regret. L’action qui va un peu trop loin et hop une soumise se pose des questions. Et si ce trauma s’agrandit, elle peut vriller. On peut se voir reprocher d’avoir abusé, violé. Et ce serait exact. Car malgré un consentement en amont sur des bases établies, une frontière a été cassée. Dans des cas précis, oui, il y a abus selon la perspective de la soumise. Et il est bien difficile de se défendre en arguant que, en toute honnêteté, c’était pour son bien. Bien injuste de dire « tu avais signé pour cela, fais toi à l’idée et avance ». Et pourtant, c’est notre responsabilité de dominant de prendre ce risque. Si nos intentions sont bonnes, si nous nous entrainons à être stoïque face aux impressions de notre soumise, c’est parce que nous avons la certitude que cela lui fera du bien. Avec le bémol, bien évidemment, que cela soit pondéré. La domination s'exerce par petites touches plus ou moins longues. Il faut des respirations. Les rituels permettent aussi de vérifier que tout va bien : aftercare, debriefing dont on ne répétera jamais assez qu'ils sont essentiels. Autre remarque : il y a les limites et les interdits. Chacun avisera de la différence dans son duo maitre/soumise. D) Je pense donc je suis. Elle pense donc elle suce Ma soumise, gwen, m’a révélé à moi-même au travers de ses perditions. Ce sont les plus beaux cadeaux qu’une soumise puisse offrir. Pas ceux de simplement souffrir en comptant les coups, en acceptant la contrainte ou obéissant. Quel spectacle que cet état de dépassement où elle est sans défense, juste à subir, dans un dénuement total alors que le temps s’arrête. Elle plonge dans la déshumanisation. Mais elle n’est pas totalement un objet. Je l’immerge dans cet état et l’en ressort par vague. Elle devient un objet qui ressent, un roseau pensant. Une des premières limites de ma soumise qu’elle pensait « indépassables » sur sa liste était l’étranglement. Je crois qu’à notre première rencontre, il n’a pas dû se passer 5 mn avant que j’enserre son cou gracile entre mes mains. Elle a paniqué. Et je souriais car je lui ai fait remarquer qu’elle pouvait respirer normalement. Ce n’était que la sensation de pression qui lui donnait l’impression d’étouffer. Nos amis américains ont un terme pour cela : « mindfuck ». Elle a toujours ce moment de panique sur l’étranglement et l’étouffement. Je ne pousse jamais très loin. Ce simple exemple démontre que l'on peut jouer avec les limites en l’absence d’une véritable volonté en amont de la part de la soumise. Reste que son instinct de conservation est battu par sa confiance en moi. C’est ce qui est magnifique et troublant chez ma soumise. Elle est simplement belle. Belle dans ses perditions dont je me repaît. Belle dans l’abnégation. Forte dans son abdication. Éthérée dans son lâcher-prise. En conséquence, je ne peux que l’aimer, faire attention à elle, me sentir responsable de son être. Voilà, j’ai ma conclusion. Quand on transforme sa soumise en objet pour son bien-être, on lui enlève et préserve son être en nous. On doit y faire attention et ne pas oublier de le lui restituer. Nous la dépossédons pour mieux la posséder. Nous objetivons pour humaniser. Ainsi, monsieur Hegel, le maitre et l’esclave peuvent évoluer de concert, se nourrir l’un l’autre. Ethan
2 Commentaires
16/12/2018 15:29:06
Bien vu, néanmoins il est important de contextualisé cette dialectique dont c'est faire une caricature pour l'appliquer à N/nos relations. Hegel est du 18eme siècle où l'économie de l'europe tient entièrement sur l'esclavage aux colonies, la violence dont il parle est une violence politique et institutionalisée dans les rapports entre hommes. C'est finalement très daté et obsolete... J'en dis beaucoup plus dans Mon guide à ce sujet. Il est plus ineressant de se pencher sur les travaux de Foucault et pour ce sujet là en particilier sur ceux de Deleuze. J'apprécie ce que vous en tirez et je pense que nous sommes assez proches (et J'adore la voir obéir sans réflechir ;-)
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Ethan
16/12/2018 15:35:38
Oui, vous avez raison. Non seulement c'est difficile de se taper du Hegel mais en plus il faut le contextualiser. Avant Deleuze, j'ai une faible pour Spinoza qui je le concède n'est pas à la mode.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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