On dit que les savoyards sont froids de prime abord. Un peu distant lors de la première rencontre. Ainsi que la seconde. Et les 20 suivantes. On susurre dans les milieux parisiens que l’unique chaleur du savoyard est celle du caquelon de la fondue. Il paraît même que la seule raison pour laquelle les Savoies ne seraient pas le plus beau pays du Monde c’est que, premièrement, ce n’est pas un pays et que , deuxièmement, il est rempli de savoyards. Alors, je voudrais juste faire une mise au point. Non, ce n’est pas de la froideur ni du dédain. C’est ce qu’on appelle « la pudeur savoyarde ». Une chaleur qui est préservée au sein du cœur du savoyard pour le protéger de la rudesse climatique et qui jaillit élégamment et magnifiquement comme un perce-neige. Certains conducteurs de témoigner (des 38, des 69 et surtout des 92 de mauvaise foi) que le 73 et le 74 seraient des gros cons de légitimistes au volant. Mais c’est par désir de concision que le savoyard a résumé le code de la route par une règle simple : « j’ai, ou je n’ai pas, la priorité ». S’il estime avoir la priorité, un savoyard peut tourner dans un rond-point indéfiniment sans mettre de clignotants. Il attend le meilleur moment pour sortir ou vérifier la tenue de route de son 4X4, la qualité du sol par temps froid, on s’en fout : il a la priorité, il fait ce qu’il veut. Pareil pour tourner. Le savoyard est devant toi, donc prioritaire, il n’a pas besoin de t’indiquer s’il compte aller à gauche ou à droite. Pourquoi ? Parce que le savoyard ne veut pas qu’on découvre le chemin de ses champs cachés de crocus vernus. Le savoyard emprunte souvent une des 8 autoroutes de la nation Savoie. Il peut te doubler, te coller au train sur la voie de gauche sans mettre de clignotant. Pourquoi ? Parce que le simple fait d’être sur la voie de gauche avec un air dédaigneux se suffit à lui-même pour signifier sa priorité sur le doublage.
Donc le savoyard a simplifié, fluidifié, rendu accessible à tous les goitreux de la Terre le code de la route. Et il sait que ce ne sont pas les clignotants qui font rouler mieux sur des routes de montagne l’hiver mais la connaissance du terrain selon la formule : froid multiplié par l’épaisseur de neige sur goudron divisé par l’angle de la pente ({Fr X Ep ng}/angl ) qui détermine le coefficient adhérence/vitesse. Mais la simplification de la conduite n’est pas le seul attribut du savoyard. Il a fluidifié la vie aussi. Ainsi arrêtons définitivement de dire que le savoyard est légitimiste seulement au volant. Simplifions en disant que le savoyard est légitimiste tout court. On croit encore, à tort, que le savoyard serait un gros con égoïste qui ne donne pas son amitié facilement parce qu’il pense vivre au centre du Monde, là où l’or blanc a plus de valeur que tout autre métal. Il donne en fait son affection avec générosité mais pas dans le même timing que le reste du monde. Le savoyard vit au rythme des glaciers, c’est tout. C’est pour cela que culturellement, gastronomiquement, musicalement, socialement il semble terriblement attardé. Pour le savoyard, les choses importantes viennent du ciel, se déposent sur les sommets, fondent et coulent au travers des roches durant des dizaines d’années pour devenir une source magique d’eau minérale. Le savoyard est froid comme la glace, dur comme la pierre, mais au fond de lui coule l’eau de la vie. Ainsi le savoyard sait que la Terre n’est pas plate sinon il n’y aurait pas de montagnes. Il sait que la Terre est un corps vivant, avec ses cycles et ses caprices, et que les Savoies en sont le nombril avec en ligne de mire l’érection du Mont Blanc. On a tendance à croire, et même être certain, qu’une fois qu’un savoyard t’a donné son amitié, c’est solide et durable. Une fois qu’il t’abreuve de sa source hypocoristique, il sera toujours là pour prendre de tes nouvelles, te soutenir et t’aider à avancer. Je peux en parler, j’ai des amis savoyards depuis 30, 40 ans voire plus. Et je suis moi-même savoyard. Mais je m’aperçois que peut-être pas tant que ça au final. Je suis un peu bâtard et cela doit se sentir. Nés à Aix les Bains certes, de parents vivants en Savoie oui. Maiiiiiis, il faut noter que du côté de la mère il y a légère trahison. Elle vient du pays qui a effacé des registres la nation Savoie. Pire que tout, elle est née dans la ville impie de Paris ou Lutèce je ne sais plus. J’aurais beau cacher la perfidie de mon sang, le droit du sol ne sera pas suffisant. Le savoyard sent la malignité chez l’autre. Il sent la différence entre un italien et un suisse la nuit, rien qu’à sa démarche dans une tempête de neige. Je dirais même qu’il est capable de déterminer si lequel est Milanais ou Luganais. Plus subtil encore, dans sa propre contrée un savoyard sait reconnaître un Apremolain d’un Chignerain (faut pas déconner c’est pas la même piquette), un Mauriennais d’un Tarin (y’en a un qui a eu les jeux olympiques, l’autre les usines), un Compotain d’un Beaufortain (pas le même fromage), un Moutierain d’une Alluetain (8 heures de soleil en plus par jour). Ceci expliquant cela, certains savoyards ont dû garder inconsciemment une certaine méfiance à mon égard. Surtout qu’avec mon priapisme constant, il m’arrive de visiter les Bellecombaises qu’on Aimeraine alors que certaines sont de Bonnevalaines qui aiment qu’on leur Fessonaise. Je sais c’est Aitonin mais on trouve des femmes Fontanaises facilement en Savoie. Qu’elle que soit le Saint-Bonais de B à D, je tire leurs Tignardes et les Bourdelaise jusqu’à qu’elles Avalins. (C’était un paragraphe d’humour savoyard sponsorisé par les 4 sans culs). Ainsi comment puis-je en vouloir à mes amis savoyards de n’avoir pas noté que j’ai subi une chirurgie presque lourde et qu’ils n’ont pris aucune nouvelles? C’est normal. C’est la pudeur savoyarde. C’est le long accompagnement respectueux que l’on offre aux glaciers. Ceux qui vieillissent mal et qui révèlent leurs secrets en fond de vallée. La plupart du temps, j’en conviens, ce sont plus des déchets, des cadavres congelés et des pièces d’avions. Mais le symbole reste beau : le savoyard sait que tout sera révélé à un moment et qu’il suffit de rester à l’écoute de la reptation imperceptible de la glace. Le secret de la vie, le savoyard le connait : après la glissade, du fromage et du vin blanc rocailleux, seul le silence immense des plaines enneigées couvre le temps et l’espace. Il est écrit au fond des verres de gnoles que celui qui entend le bruissement des petits amas de neige sur les branches de sapin comprend l’équilibre précaire de la vie. Un seul éclat de voix et c’est l’effondrement. Pas seulement une petite chute de neige rafraîchissante et étincelante qui émerveille le quidam mais quelquefois le grondement sourd et la force indomptable d’une avalanche aussi belle que mortelle. Pour ces raisons, le savoyard avance sans bruit. Au fond de lui, il espère qu’un monchu ne viendra pas perturber le moment rare du silence de la neige. Celui qui inspire la paix entre le crissement étouffé d’un pas profond dans la poudreuse et l’écho proche d’un tétras-lyre. C’est dans le respect de cette tradition savoyarde que j’avais donné instructions à 2 proches au sang de monchu (ma compagne et ma mère) de ne pas donner de nouvelles si je ne survivais pas à mon opération. Je voulais être à l’image de ces glaciers millénaires qui révèlent leur secret quand ils se mettent définitivement en retrait. De ceux qui laissent un immense lac en lieu et place d’une artère de glace. Si certains transforment le plomb en or et d’autres l’eau en vin, le savoyard aspire à transformer la glace en eau. Et puis surtout, je me suis dit, déjà qu’ils ne prennent pas souvent de nouvelles quand je suis vivant, pourquoi serait-il pertinent qu’ils s’intéressent à moi si je suis mort ? Mais non. Mes amis savoyards le savent. Ils savent que je ne suis pas vraiment malade. AVC, hypersomnie, difficulté de concentration, fatigue, sensibilité à la lumière, prise de poids, arthrose puis opération sleeve, douleurs…Tous ces mots ne sont que des appellations médicales absconses qui s’expliquent différemment de manière savoyarde. En fait, pour eux, je suis juste tombé en hibernation il y a deux ans et ils savent que je vais prochainement sortir de ce double hivernage totalement revitalisé et transformé. Non, le savoyard n’a pas rien à foutre de ses amis de trente ans. Il respecte ton sommeil c’est tout. Le savoyard sait que la mère nature fonctionne et qu’il faut honorer le sommeil de l’ours. #Et mon cul, c’est un dahu. Je respecte de mon côté la même doctrine car la partie paternelle doublement alpine en moi (côté Savoie et Italie) m’impose la même pudeur savoyarde. J’aime terriblement tous mes amis mais je ne leur dis pas par respect de leur vie privée. Je les préserve vivant et heureux dans mon âme. Ainsi s’ils meurent, s’ils sont mal, inquiets ou qu’ils ont des difficultés familiales, sociales ou professionnelles, il est certainement rassurant de savoir qu’en moi ils sont heureux. Ethan
2 Commentaires
ISabel
15/8/2023 13:10:06
Bonjour.... juste truculent.... d'une savoyarde habitant maintenant dans le Vaucluse et arrivant par FL .. je me suis régalée.
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Ethan
15/8/2023 13:20:51
Merci. Je viens de me relire et je me suis marré aussi.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Septembre 2024
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