![]() J’ai toujours eu le souci d’être en avance sur mes camarades. Vous savez, mon côté novateur, testeur, voire aventurier de l’inutile… Le dimanche 13 octobre 2019 à 10H15, j’ai donc testé l’AVC. Alors, pour rappel, c’est un caillot qui monte au cerveau et qui bloque la circulation du sang et donc de l’oxygène. Cela détruit une partie des tissus cérébraux. 1 personnes sur 5 meurt dès cette première attaque. Beaucoup ont des séquelles importantes comme la paralysie ou la perte partielle des capacités mentales. Il y a plus d’un mois, j’ai donc subi un Accident Vasculaire Cérébral ischémique du tronc cérébral. Et moi, je suis le chanceux parmi les chanceux. Non seulement je ne me suis pas écroulé raide mort le nez dans mon café matinal genre le fusible qui pète et « au revoir », mais en plus j’ai assez peu de séquelles. On peut se permettre un sourire : il n’y avait pas beaucoup de capacités mentales à perdre. Je n’ai eu que de persistants vertiges durant 2 semaines et je subis encore de grands coups de fatigue sporadiques. Je n’ai pas fumé une seule cigarette depuis le 13 octobre 2019. J’essayais de me motiver depuis plusieurs mois et j’attendais une opportunité comme un gros rhume pour commencer. Bon, là, c’est un bon moyen aussi. Je dois aussi avouer aussi que j’ai eu peur. Je prenais mon café. Je regardais mon salon en me disant que j’allais faire le ménage. Je voulais aussi changer les meubles de place. Et puis j’ai senti un petit pop à gauche de ma nuque. Comme si je m’étais fait un torticolis alors que je ne bougeais pas. Je me suis dit que, vraiment, j’étais trop anxieux en ce moment pour être apte à me figer la nuque sans rien faire. Puis j’ai senti la pression s’accentuer sur mon front, mes tempes et la pièce s’est mise à tourner de plus en plus vite. J’ai pensé à une syncope vagale alors j’ai titubé jusqu’à ma chambre et me suis écroulé sur le lit pour tenter de me décontracter et attendre que ça passe. Mais je sentais que quelque chose de plus sérieux se déroulait. Je transpirais maintenant et ma respiration devenait haletante. Je tentais de trouver une position pour faire en sorte que les vertiges s’arrêtent mais rien à faire. Je savais que ma mère devait venir chez moi pour déposer des affaires alors je me suis forcé à me relever pour ouvrir la porte. Le décor autour de moi était en mouvement. Je sentais que mes jambes me lâchaient. Je n’ai pas vraiment visé pour aller jusqu’à la porte, j’ai juste compté sur le souvenir des déplacements habituels pour m’y rendre. J’ai ouvert d’un coup et je suis retourné sur mon lit. Ma tête était le théâtre d’un cataclysme de lumières et de vertiges. Ma mère est arrivée. Sa voix douce mais inquiète me confirma que je n’avais pas l’air bien du tout et qu’il fallait appeler les pompiers. Ce que je fis après avoir appelé et laissé un message à Gwen qui contenait les informations phares "je ne vais pas bien, je vais appeler les pompiers mais n'oublie pas que je t'aime très fort". Le genre de message qu'on écoute sur son répondeur durant des mois après le départ de l'autre. J'ai toujours eu le sens de la dramaturgie. Bref, je compose le 18.... Oh il y a toujours des épisodes marrants du genre qu’on te fait patienter pour décider si oui ou non on déplace les pompiers. On me demande si j’ai vomi en plus de tous les autres symptômes. J’ai les yeux fermés, je tachycarde, ma tête est en mode toupie. Je réponds que je sens que je ne vais pas tarder à vomir. On me remet en attente. Je sens mon ventre partir à son tour en vrille. J’appelle ma mère pour qu’elle me ramène une bassine mais je sais qu’elle n’aura pas le temps. Je me lance jusqu’à la salle de bains sans oublier mon téléphone en mode haut-parleur et je m’accroche à la vasque. Purée… Je déteste vomir. Mais là c’est monstrueusement puissant comme une vague qui retourne mon estomac pour éjecter tout d’abord café et biscuits. A ce moment, la doctoresse du SAMU m’a pris en ligne. « Ha mais vous vomissez apparemment ». J’acquiesce entre deux spasmes sans savoir si elle m’entend mais je pense qu’avec la réverbération de la salle de bains, elle a dû croire que Godzilla se vidait les tripes. Elle dit « on vous envoie les pompiers ». Les pompiers arriveront et seront très gentils et professionnels. On a tous compris que la pierre d’achoppement du transport serait les vomissements intempestifs. Ils seront donc patients et le plus précautionneux possible. J’entends les pompiers me dire que mes constantes sont bonnes. « bonnes » ?! Je ne sais pas si je l’ai dit ou si je l’ai pensé, mais cyniquement ma réponse fut « ha bah tout va bien alors, je vais nous refaire du café ». Je commence à décrocher mentalement. Je n’ouvre plus les yeux ou à peine une seconde. Mon cerveau est en position essorage. Je transpire et halète. Quand on me pose une question, j’ai l’impression de mettre des heures à répondre. Mais je ne perds pas connaissance, je ne suis qu’une boule de douleur consciente. Dans cette torpeur, j’ai peur pour ma vie. Je pense à AVC bien sûr, mais aussi à crise cardiaque. Je pense, une fois de plus, à ma mort potentielle. Les yeux toujours fermés dès que je sens une présence je tends la main pour sentir une chaleur humaine, une espèce de compassion, un truc qui me rassure et me retienne à la vie ou à la réalité. Le personnel des urgences aussi a été formidable. Le temps parait compressé. Il y a eu des questions, la douleur du cathéter, les vomissements encore et toujours. J’étais à la fois honteux du pauvre spectacle que je donnais et en même temps totalement démuni. Et toujours les questions un peu énervantes auxquelles on vous demande de répondre rapidement : vous avez du diabète ? (j’en sais rien, c’est pas à vous de répondre à cette question ?) A quelle heure vous avez commencé votre crise ? (laquelle, celle d’ado, la quarantaine ou ce matin 10H ? ) Vous êtes seul ? (dans la vie ou depuis que je vomis ?) Vous avez mangé quoi ? (depuis quand ?) Vous pouvez marcher ? (non j’ai peur de glisser sur mon vomi)… J’ai essayé de faire de mon mieux pour répondre, faire ce qu’on me demandait mais petit à petit ma conscience sombrait. J’ai eu droit à un scanner. Je ne me souviens d’aucun visage. J’ai gardé les yeux fermés. Ma mère est revenue. Je suis tellement désolé de lui avoir fait subir cela aussi. Voir son fils unique dans un état pareil alors qu’elle n’est pas en forme non plus à 76 ans. Les enfants étaient gardés par mon ex-femme ce weekend là. Elle a assuré. J’ai plus ou moins organisé la semaine pour eux. Je crois aussi que j’ai dû prévenir mon boss et l’école où j’enseigne car je devais donner un cours le lundi matin. Je me souviens des touches qui dansent sur mon téléphone, la luminosité qui m’arrache la tête. Je vomis encore et profite du répit de l’après pour envoyer les sms vitaux. Puis je me laisse couler. Ou j’aurais aimé me laisser couler. Mais il suffit d’une vibration, d’un mouvement pour que les vomissements reprennent. Durant plusieurs heures je ne suis que ça. Un cerveau qui tourbillonne à toute vitesse dans une boite crânienne, un ventre qui prend le contrôle de mon corps comme si j’étais possédé pour me vider de ma substance et des envies de dormir profondes induites par l’épuisement. Je n’ai rien pu avaler durant 24 heures. Les vertiges ont continué durant plusieurs jours, heureusement les vomissements se sont arrêtés. La tempête a fini par décroître. Durant 7 jours j’ai eu des soucis d’équilibre et de mise au point de ma vision. Quelques migraines dues à la luminosité et surtout de gros moments de fatigue. Une mention spéciale pour la doctoresse qui a été sensationnelle. Elle est restée tard un soir dans l'attente du résultat de mon IRM et est de suite venue m'expliquer le diagnostic et ses conséquences. Ce ne fut pas réellement une surprise mais j'ai vraiment réalisé l'importance de la pathologie quand j'ai croisé son regard soucieux et compatissant. Franchement je ne suis pas habitué aux médecins humains alors cela fait un choc. En plus elle était charmante...Mais à ce moment la seule chose dont j’étais capable c’était de lui vomir dessus. N’ayant pas vu sa check list, je ne savais si c’était une de ses paraphilie. J’en doute cependant. J’ai continué à avoir quelques angoisses. L’ascenseur émotionnel n’est jamais loin. La culpabilité, le manque de nicotine, les appréhensions. En premier lieu envers mes enfants mais aussi des choses auxquelles je n’avais jamais pensé comme « la personne de confiance ». Vous savez, la personne qu’on prévient en cas d’urgence mais qui sera aussi celle qui jugera de votre sort si vous perdez connaissance et que l’on doit prendre une décision de l’ordre du vital (trépanation ou on débranche et on va chez macdo ?). L’infirmière a insisté mais je n’ai pas pu répondre. Au jour d‘aujourd’hui, je ne sais toujours pas. Je ne peux me résoudre à mettre la responsabilité d’une telle décision sur les épaules de quelqu’un. Je sais que je suis pour le don d’organe et contre l’acharnement thérapeutique. Car même si les plantes vertes ont une vie, je ne crois pas que nous avons été conçu pour cela. Et je ne veux pas être une statue au cœur battant sans possibilité de communiquer avec des personnes qui se sentent obligées de me visiter. Il faut libérer les vivants, laisser partir les morts, dissoudre les morts-vivants. Bref, je n’ai pas de personne de confiance. Pour le reste je crois être pareil qu’avant. Si ce n’est que j’ai développé une passion pour le légume. J’adore la nourriture d’hôpital. J’ai même mangé un diot et des cœurs d’artichaut, moi qui déteste ça. Voilà, c’est mon petit témoignage de l’AVC. J’ai eu de la chance. J’ai juste ouvert la porte des enfers quelques minutes pour jeter un œil avant de refermer. Mais je sais que durant les prochaines semaines, je ne serais pas aussi vif que je voudrais. Je dois à la fois m’occuper de retrouver la forme et ne pas en faire trop. ![]() Outre la fragilité du corps humain et le spectre de la mort qui ne cesse de me poursuivre depuis mes cinquante ans, j’ai aussi analysé cet événement d’un point de vue BDSM. Je suis assez content d’avoir gardé mon esprit analytique au début de la crise même si le dominant s’est vite transformé en petit mulot voyant sa fin proche. Je suis resté 10 jours en soins intensifs. J’ai ainsi eut droit à toutes ces choses que l’on fait subir à nos soumises et, plus que jamais, elles ont obtenus dans mon cœur et mon esprit des marques de respect encore plus grandes. J’ai serré les dents pour la mise en place des cathéters en me disant que certaines prennent 100 aiguilles en une soirée juste pour faire joli. J’ai connu l’enfermement durant 2 scanners et 2 IRM que j’ai plutôt bien vécu et je les comparais à ces diverses mises au placard que ma soumise apprécie également. J’ai pesté gravement contre ce monitoring H24 qui me reliait comme une laisse à des infirmières trop mignonnes. Sans compter que pour aller aux toilettes je devais me débrancher, déclenchant ainsi des alarmes et je passais devant leur aquarium en faisant un petit signe pour signaler que « oui, je vais faire pipi ». Et le pompon fut surement l’Échocardiographie transoesophagienne. Processus intéressant où on vous fait avaler un transducteur pour regarder votre cœur. Bien évidemment l’analogie avec la gorge profonde est évidente. Et là je dois dire que non seulement mon ego en a pris un coup mais ma considération pour les soumises à qui l’on exige cet exercice a monté de plusieurs crans. Oserais-je avouer que durant un court instant j’ai songé à barrer la gorge profonde de ma liste de pratiques ? Oui, je me suis dit que vraiment nous étions des barbares et qu’il fallait, plus que jamais, faire attention dans cet usage. On prend peut-être trop nos aises sur des actions qui deviennent habituelles alors que rien n’est jamais anodin. Je vais finir ma parenthèse BDSM en me redorant le blason. Même si j’ai lâché prise au plus fort de la crise, je me suis battu rapidement pour reprendre le contrôle de mes actes et de ma vie. Dès le dimanche soir, je me suis fait souffrance pour organiser et contacter les personnes clefs. J’ai dit que je souhaitais aller aux toilettes seuls et pas pisser dans leur pistolet en plastique. Ce fut une épopée. J’ai attendu d’être seul après un vomissement pour me lever, m’accrocher au lit, le porte-cathéter et les murs qui dansent pour me rendre aux toilettes. Je ne voulais pas, ou plus, être impotent. Pareil pour la douche. Je peux le dire maintenant, mais je faisais semblant d’aller bien. Je donnais l’impression de me rendre guilleretement à la salle de douche. Oui, parce qu’en soin intensif, il n’y a pas de putain de douche dans votre chambre. Jamais un couloir ne m’a paru aussi long. Et une fois la porte fermée vous êtes dans une grande pièce au sol glissant. Se doucher devient un exercice difficile quand on est pris de vertige. Et je gardais à l’esprit qu’il ne fallait pas que je tombe sinon…Sinon, deux infirmières seraient venues récupérer un gros lard nue plein de savon avec toute l’humiliation que cela comporte. Et après on m’aurait interdit de me lever. Non. Je voulais reprendre le contrôle de moi, le contrôle de ma vie. Je ne veux pas dresser le portrait d’un « mec », d’un dominant pur et dur à l’image de Rambo qui recoud ses plaies. Non, je veux simplement dire que l’on doit pas se laisser aller. Savoir quand se reposer mais ne pas accepter la défaite. J’ai la chance que pour moi il m’est insupportable de dépendre de quelqu’un. Je ne sais pas pourquoi. Et cela vexe ma compagne, et néanmoins soumise, Gwen. Je sais cependant que je vis mieux prêt d’elle et réciproquement. Il faut pas mal de temps pour se remettre sur pied paraît-il, mais je sais que je dois prendre une nouvelle direction dans ma vie dès maintenant. Alors, bien évidemment, ce sera un régime, du sport, arrêt de la cigarette. Mes enfants restent ma priorité. Ils ont eu peur et sont encore inquiets. Mais surtout ne pas attendre pour vivre et attraper le bonheur. Gwen fait partie de ce plan. Il est plus que temps de songer à aimer, respirer, dominer et être heureux. (Je rappelle pour ceux qui n’aurait pas lu tout mon blog que Gwen et moi vivons à distance et que je n’ai pas voulu qu’elle vienne me voir durant mon hospitalisation). … J’ai hésité à ajouter un autre épisode à cette anecdote de ma vie, mais parce qu’il s’est déroulé durant la même période, j’ai envie aussi de le partager. J’ai perdu mon père le 31 octobre. Il vivait loin et je n’ai pas pu assister à ses derniers instants à cause des conséquences de mon AVC. Il était tombé malade 15 jours avant ma crise mais rien de présageait d’un sort funeste. Son état s’est brusquement aggravé alors qu’aucun réel diagnostic n’avait été posé et ce 7 jours après mon propre retour de l’hôpital. Sa mort m’est apparue comme irréelle dans un moment où j’avais encore des vertiges et de fortes migraines. J’ai appris son décès à 11h. J’ai pleuré doucement puis je me suis repris. J’ai annoncé la nouvelle à mes enfants. Mon fils de 5 ans m’a dit que maintenant il peut nous voir partout. Nous avons fait un grand câlin à trois puis je leur ai dit de reprendre leurs occupations, en l’occurrence jouer. Car les enfants ne doivent pas stagner dans la tristesse. Cela reviendra par vague, par souvenir. Le soir, ils se sont déguisés et je les ai accompagné pour le porte à porte afin de récupérer des friandises. Je préfère Halloween à la fête des morts. Nous avons mis mon père en terre il y a une semaine. Ses amis d’enfance étaient là. Il est de retour en terre de Savoies. Il y a de ces sujets classiques et les paroles évidentes que l’on entend et voit partout. Au cinéma, dans les livres et les réseaux sociaux que ce soit dans la perspective de la maladie, de la vieillesse ou de la mort. C’est à mon tour de faire passer ces messages : chérissez ceux qui vous entourent sans fioritures. Ne vous laissez pas emportez par les sujets superficiels et profitez de la vie. Soyez honnête avec vous-même et réalisez vos rêves. On a beau dire qu’il n’est jamais trop tard, il vient quand même un moment où les pages se tournent définitivement. J’ai parlé à mon père l’avant-veille de sa mort. Je ne me souviens plus si je lui ai dit « je t’aime papa ». Je me rappelle de lui avoir dit de se battre. Ses petits-enfants lui ont dit qu’ils l’aimaient. Et puis il est parti. Il y a des moments où j’aimerai ne pas être un enfant unique. Ne pas avoir à prendre tout cela sur mes épaules. L’avenir de mes enfants, le décès des proches, les choix de vie. Je l’ai écrit sur le ton de l’humour dans un autre texte : la vie est BDSM. Que l’on soit dominant ou soumis, on reçoit des coups et le but est d’y faire face et d’avancer. Si possible dans la joie mais en tout cas dans l’amour. Ethan Dom, fils et père
4 Commentaires
Arigault
19/11/2019 22:21:06
Bonsoir Ethan, bon rétablissement à vous.
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Ethan
20/11/2019 10:49:54
Merci Galathee
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Alyse
20/11/2019 07:56:12
Bonjour.
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Ethan
20/11/2019 10:48:26
Tout d’abord je pense et j’espère que vous avez consulté sérieusement après vos vertiges. Vous le savez certainement mais c’est peut être un AIT, Accident Ischémique Transitoire. C’est à dire que le caillot a bloqué quelques instants puis est passé. Avec le recul j’en ai eu un quelques semaines avant mon AVC.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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