![]() On a peut-être trop tendance à penser le « bdsm à plusieurs » comme un passage obligé sans se demander pourquoi et comment. Il y a des variations et même des différences dès qu’il s’agit de se retrouver « à plusieurs ». Attention, je ne traite ici que du coup par coup. Et pas des dominant(e)s avec plusieurs soumis(es) à demeure ou non sur le moyen/long terme. Je l’évoquerais sûrement, c’est un sujet à part entière. A mon avis, on peut imaginer le BDSM à plusieurs comme un fétichisme. Car dans l’absolu rien ne nous oblige à pratiquer au milieu des autres. Je pense que de nombreux couples font leur BDSM dans leur coin. Ainsi les réseaux sociaux ne sont certainement pas le reflet de la réalité. La « communauté » BDSM est avant tout un moyen d’échanger des informations et éventuellement de rencontrer. Mais elle n’est pas une communauté d’entraide ou d’organisation comme peut l’être une fédération. La communauté virtuelle du BDSM est une cour des miracles car c’est aussi son essence : être différent et l’assumer. A partir de là il est difficile d’avoir une carte de membre avec règles et parcours communs.
Voici donc, au second degré, un tour du bdsm à plusieurs. A) Il faut qu’on s’organise… 1) L’appren-tissage. L’apprentissage autant pour le dom que pour la soumise comme les fameux cours de macramés shibariste avec thé vert inévitable, revendiqué non érotique (qui n’empêche apparemment pas les harcèlements, attouchements et viols sous kimono). C’est ce que j’appelle le subspace vegan : pas de sexe, pas d’ordre et musique zen. On est là pour faire des bouclettes et des accroche-cœurs proches de l’emmaillotage de nourrisson. Une image lisse, trop lisse pour être honnête. On en oublie l’origine du Shibari qui, dans son japon médiéval, est né de la nécessité de torturer, exposer, maitriser un ennemi le plus efficacement mais aussi le plus esthétiquement possible. Je me rappelle même avoir appris dans mes cours de ninjutsu comment se défendre avec une simple corde. L’objectif était de maitriser quelqu’un rapidement, lui faire mal pour lui enlever toute velléité de contre-attaque et surtout de bloquer ses membres pour l’empêcher de taper le tatami (signal qu’il avait trop mal et qu’il fallait arrêter. Safeword des arts martiaux). Oui, je sais j’ai grandi dans une époque barbare. J’entends déjà les pas furtifs des pratiquants de nawajutsu qui veulent m’étrangler. Et, méchant hypocrite que je suis, je n’évoque pas non plus que l’art de la corde est aussi purement artistique puisqu’on l’utilisait pour réaliser des paquets cadeaux sophistiqués. Je n’ai pas parlé du Kinbaku, qui se situe à un niveau plus fusionnel entre l’encordée et l’encordeur. Le kinbaku c’est un peu l’origami de la corde. Alors que le bondage à l’occidental à toujours gardé sa connotation sexuelle légèrement plus vulgaire (dans le bon sens du terme). Nous avons dorénavant des cours ratifiés sexsafe, des performances live, des ropes bunny dans des ropes family. Comme le pôle dance qui est devenu un sport enseigné dans les salles d’aérobic. Et les ateliers BDSM spécial débutant dans les salles communales pour un démarrage en douceur. Bientôt, on aura le Monopoly du bdsm : j’achète une esclave Gare du Nord, elle passe par la case prison et reçoit 15 coups de fouets. Tout cela pour dire que l’on peut se retrouver « à plusieurs » dans des approches BDSM qui ont deux points communs : vous inciter à devenir des conso-mateurs et avoir un goût de vanille. J’en ai un nœud à l‘estomac. (Pour être sérieux quelques secondes : le shibari cela s’apprend. Tout comme le fouet et d’autres techniques. Je taquine un peu pour faire l’intéressant.) 2) The place to be On cherche des lieux simplement pour pratiquer. Il est compliqué de cacher une balançoire ou une croix de Saint André dans le placard derrière la planche à repasser sans que les enfants demandent à jouer avec. Cela m’est arrivé notamment avec le canard vibrant retrouvé dans la baignoire (« papa le canard est en panne, il vibre sans faire « coincoin»). On se mêle obligatoirement dans les donjons à d’autres protagonistes. Pratiquants, voyeurs, voir fêtards…. Ce qui rentre donc dans la catégorie « plusieurs ». On oscille entre souhaiter être dans sa bulle et partager sa passion. Croiser des gens de même obédience mais avec qui on n’a pas nécessairement envie de parler. Mais bon, c’est toujours sympa de discuter le bout de gras. J’aime les ambiances de club quelles qu’elles soient. La faune, les fosses, les foufounes, les fornicateurs…Je parlais de cour des miracles. Je trouve que même si l’on à tendance à se toiser légèrement, je ressens beaucoup d’amitié envers les gens qui affirment leur sexualité alternative. Un subtil mélange de « paraître différent » et « d’être différent » en même temps. 3) Lunch, brunch, munch…Crunch ? Il y a aussi les munchs avec dress code vanille obligatoire pour ne pas choquer les non-initiés. Alors, oui, c’est bien de sortir dans des lieux publics pour parler de notre seconde vie comme si nous étions des êtres normaux qui ne tombent pas en poussière à la lumière du jour. Mais la qualité des munchs est surtout relié à la qualité des participants. Il y a ceux qui veulent simplement frôler et rencontrer des gens sans pour autant s’engager. Mais il y a ceux aussi qui espèrent recruter la petite débutante qui pense qu’elle ne craint rien car elle est à la brasserie choucroute et bière du coin. Le « munch & play » existe aussi. Nous avons pareillement les salons de l’érotisme qui ont leur espace dédié sm et un chouïa de bondage. Parce qu’on peut vous montrer du sm mais on veut surtout vous faire acheter du sm. Il est plus difficile de vendre du D/s. Vous savez, le D/s c’est psychologique. Alors on va vous montrer du Fetish (pas fétiche hein) : cuir, latex avec un olibrius de Las Vegas qui fait du pony play et une fouetteuse domina pro de Berlin. « Parce que ça c’est visuel, c’est vendeur coco. Vas-y vend moi de la transgression, du sexe tant que c’est graphique, tu peux tout faire». Alors de l’éducatif, oui…Entre deux cracheurs de feux (fireplay ?) et de show lesbiens (lesbien raisonnable), on va parler du porno qui n’est pas le « sexe de la réalité ». Mais l’esprit du bdsm reste un fantôme. Bref, je dis du mal mais le salon de l’érotisme j’aime bien. Quand j’étais jeune j’allais à Apple Expo pour rêver du mac survitaminé que je ne pourrais jamais m’offrir. Le salon de l’érotisme c’est pareil. 4 ) Jeux thèmes Les soirées privées qui mettent en avant partage et triage sur le volet mais, là encore, on se demande si on partage des idées ou de la chair. « Très joli votre canapé cuir. C’est du cordovan ciré à la cyprine ? », « Non de l’esclave pleine fleur huilée à l’urine de soumis sédentaire ». Je plaisante à peine. Les soirées « à thème » bdsm se basent sur deux idées. La première c’est « on a du matos » dont la fameuse chaise/carcan avec piston défonceur. La seconde c’est « Eye Wide Shut ». Vous savez les masques vénitiens qui permettent de prolonger notre anonymat internet (je dis bien « notre ») et qui ajoute de l’esthétisme au déni « Ce n’est pas moi, c’est mon double maléfique ». Là encore, je taquine, mais j’aimerais bien assister à une belle soirée, bien organisée. Reste que les flyers de ces soirées, bourrées de fautes avec photos pompées sur le web ne peuvent pas rivaliser avec la fantasmagorie de Kubrick. En dehors de ces 2 idées de base, les initiateurs de soirées ont l’esprit vide. A quand un thème escalade et encordage avec knifeplay au piolet ? Playmobil et latex sur base de menottes faites en Lego? Suspension et cosmogonie ? Branding avec marche sur le feu ? Hum ? Que diriez-vous d’une soirée Egypte et momification ? Plus piégeur : soirée orgie romaine des saturnales (les doms qui savent de quoi je parle ne s’y rendront pas). Et je garde mes plus belles idées dans ma tête. On ne sait jamais. Si par hasard le démon de l’événementiel reprenait possession de moi. J’exagère bien évidemment. Il existe de très belles soirées BDSM bien organisées mais moins nombreuses que les salons. Pourquoi ? Voilà donc 4 façons de se retrouver à plusieurs pour s’encanailler quelque peu, sans trop donner de sa personne. Cependant ne vous laissez pas aveugler. C’est du superficiel, du consommable. Car je ne vois que très rarement dans ces façons de faire un encouragement à une démarche intérieure. La plupart du temps ces façons de rencontrer les autres sont surtout l’opportunité de renforcer sa complicité avec sa soumise. Voilà pour cette première partie du « à plusieurs » qui ne manquera pas de chafouiner ceux qui n’ont pas compris le second degrés. Car le fond du « à plusieurs » se base en réalité sur quelques rares ressorts psychologiques que l’on retrouve dans la liste des paraphilies au final pas si nombreuses que cela. B) Veni, vidi, et surtout vici. Puis veni encore et encore. En fait, le BDSM à plus de deux reposent sur quelques paraphilies : 1. L’exhibitionnisme. Si une soumise peut être nue et offrir à la vue son corps sous tous les angles, il est encore plus plaisant qu’une tierce personne en profite. Il y a l’exhib « simple » ou l’objet de l’exhibition est excitée à l’idée d’être vue (Peodeiktophilie). Et l’exhibition forcée où c’est le processus d’humiliation qui devient le biais de l’excitation (asthenolagnie). (Pas loin de l’exhibitionnisme, nous avons la Forniphilie ou l’on utilise la soumise comme un meuble). 2. Apodysophilie (ou autagonistophilie) : forme d’exhibitionnisme qui concerne la nudité complète sans que les organes génitaux soient le centre d’intérêt particulier. Ainsi vous pouvez être amené à vous mettre nu dans des endroits publics en prenant le risque d’être vu. Vous savez très bien que le voisin tond la pelouse alors pourquoi ne fermez-vous pas la fenêtre au moment de prendre votre douche ? 3. Le candaulisme, fait de voir sa partenaire offerte et d’être en retrait. Là aussi, deux façons de l’exercer dans un sens ou l’autre et des fois réciproquement. Le maitre aime voir sa soumise offerte ou le maitre impose à sa soumise de le regarder. Très proche aussi du cuckholding (le partenaire habituel ne participe pas aux ébats) Par ailleurs le fait d’être excité sexuellement quand on est ridiculisé s’appelle la catagelophilie. 4. Le voyeurisme. A priori le voyeurisme parait simple à comprendre. C’est une erreur. Les leviers d’excitation englobés dans cette paraphilie sont divers. Il y a d’abord le fait de voir ses organes génitaux qui ramènent à l’interdit de l’enfance. Il y aussi la récompense du dominant qui lui peut être habillé alors que la soumise est nue, donc exposée et fragile. Il y a aussi la facilité d’accès aux orifices de sa soumise. Enfin, il y a aussi la pure beauté de vénus sans sa fourrure qui peut fasciner. Il y a certainement encore d’autres leviers possibles. Ce sont juste quelques exemples pour monter que le voyeurisme est une paraphilie plus complexe que l’on veut bien croire. 5. Alloerastie : oui, il faut la trouver celle-là. C’est quand on utilise la nudité d’une tierce personne pour exciter son ou sa partenaire. Alors, oui, une page de magazine fonctionne mais si vous allez au salon de l’érotisme voir les shows et que vous êtes excité par le fait que votre partenaire puisse être excitée par le spectacle, vous êtes alloeraste. Non mais allo quoi… 6. Biastophilie : simulation de viol. Particulièrement par une personne étrangère. D’où la notion de dépasser la notion de duo. La raptophilie est l’envie de commettre un viol. Le viol pourrait être réalisé dans le cadre du couple dom/soumise bien sûr. Mais dans son action le « violeur » devient un étranger. Et pour d’autres le fantasme de viol est encore plus profond puisqu’il induit plusieurs kidnappeurs. 7. Polyiterophilie : le terme utilisé en libertinage est le gang bang avec une légère différence : les partenaires passent les uns après les autres sans notion d’être forcé. Ces 7 paraphilies impliquent la plupart du temps la présence de nouveaux partenaires. A ma connaissance, il n’y a pas de nom précis pour d’autres formes de bdsm à plusieurs. Par exemple plusieurs soumises qui serviraient le dîner pour leurs maitres et maitresses. J’ajoute à cette petite liste, pour le plaisir du détail, l’agrexophilie : quand on est excité parce que l’on sait que d’autres savent, ou entendent, que vous avez une relation sexuelle. Si les voisins sont contents… Bon, j’ai fait étalage de mots compliqués en tapant sur internet car il est honnête d’avouer que je n’utilise pas tous les jours ce vocabulaire. Reste que pour résumer, le bdsm à plusieurs c’est voir et être vu, utiliser et être utilisé par plusieurs personnes. De ce texte qui devient trop long, je souhaite démontrer qu’il faudrait, voir le « bdsm à plusieurs » sur la base des fétichismes autant que sur l’aspect organisationnel. C’est ce qui fait la différence avec le libertinage alors que les leviers d’excitation sont les mêmes pourtant ils ne sont pas reconnus comme tel. Le libertinage est plus direct et basé sur une forme de séduction ou d’envies sexuelles basiques. Dans le libertinage c’est la femme qui décide aussi. Dans le BDSM outre les pratiques qui ne rentrent pas dans le domaine du libertinage comme l’impact, il y a une sophistication qui impose une ouverture d’esprit mais aussi une compréhension de l’échange de pouvoir. Pour exemple, ma soumise est excitée par le fait de s’exhiber, voir d’être utilisée, tout en étant humiliée par cette situation. Et, point crucial, elle va fondre quand on lui dira qu’en fait elle aime cela. C’est un long parcours fantasmatique dans lequel elle se perd émotionnellement mais qui a le même effet qu’un lavage à la machine. Les sensations sont mélangées mais on en ressort propre. Ainsi l’issu doit absolument être un retour à la réalité dans un processus qui nous correspond. Cela sous-entend de bien se connaître. Là encore la confiance est essentielle. Ainsi des « spectateurs » peuvent trouver ma soumise timide et se demanderont si elle est consentante parce qu’elle communique peu ou qu’elle ne sourit pas. Alors que d’autres masochistes expérimentés aimeront montrer leurs besoins et leurs capacités au point que d’autres pourront se demander si le maitre ou la maitresse n’y va pas trop fort. Donc, dans un même endroit, pour une même action, le vécu est totalement différent. Et ce qui est différent est enrichissant. Reste que je me dois d’être honnête. Cette longue analyse n’a qu’un but : avouer. Oui, j’avoue que j’aime voir ma soumise s’exhiber devant d’autres. Oui, j’aime la pousser dans ses limites quand je lui impose une promiscuité féminine. Je me repais de ses perditions. Oui, j’avoue que j’aime découvrir une autre peau sous mes doigts, entendre des cris d‘une autre tonalité en sa présence. Oui, je suis fier de la montrer recevoir des coups de fouet devant des spectateurs. Oui, j’ai réussi à dépasser le moment difficile ou elle prend une autre queue dans sa bouche ou dans son sexe. C’est un travail personnel que je considère comme une évolution. Mais surtout, je suis toujours terriblement proche d’elle alors qu’il y a du monde autour. Je n’ai pas peur de mettre en danger notre amour. J’aime défier notre bulle avec le regard, le sexe, l’action des autres. J’ai cette sensation énorme qu’au milieu des autres, nous ne sommes que deux. Ethan Illustration : Maitresse de Barbet Schroeder (1975) avec Bulle Ogier et Gérard Depardieu.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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