![]() Et si je vous disais que la base même de nos pratiques est fausse ? Genre totalement fausse. Vous me diriez : de quelle base tu parles ? (enfin les doms me diraient ça, les soums me diraient « puis-je vous demander respectueusement à quelle base vous faîtes allusion ? ». Et je dirais : le vocabulaire. Le titre même qui évoque ce que nous faisons a une origine frelatée. Je parle de l’acronyme BDSM et son ancêtre le SM. Presque chaque lettre est une erreur, un contresens, un mensonge. Mais aussi d’autres mots comme primal, kink… Et je vais vous expliquer pourquoi… (Je trouve que cela fait un peu Pierre Bellemare cette introduction. Idéal pour un podcast). Et comme, mon enquête a été longue et qu’il y a beaucoup de choses à expliquer, je vais créer une section pour ce faire. Le but n’est pas de casser les fondements du BDSM. Au contraire. Je peux vous donner les conclusions d’ors et déjà. On s’en fout du nom de nos disciplines. On pourrait utiliser impactisme, entremêlage coordonnée, doloriste nocturne, sigisbée punisseur , disciplineur d’indocile, obéisseur servile, spermovorisme contraint, claquedermiste, marqueuriste badineur, contraignantiste ligatureur, souverainiste ordonifère, encordiste nipponien, … Ce qui compte c’est d’avoir un langage commun pour se comprendre. Reste qu’il est intellectuellement et certainement culturellement intéressant de savoir de quelle glaise sémantique nous sommes issus. Cela permet encore plus de se positionner dans notre monde, l’esprit éclairé, face à la plèbe inculte de la bien-pensance. Nous allons commencer par le gros morceau : le S. Plongez avec moi dans les méandres de l’Histoire. ![]() Certainement comme beaucoup d’entre vous, je suis rentré dans le BDSM par la petite porte. Faisant d’un seul coup le lien entre mes habitudes de domination imaginatives et perverses et ce que l’on appelait le SM puis le BDSM. Et, comme tout le monde, j’ai utilisé le vocabulaire qui nous étaient proposés. Ainsi le SM veut dire Sado-Masochisme. Sado venant de Sade et maso de Masoch. Et donc selon l’imagerie des pines mâles (épinal) communément acquise le sadique c’est une madame (ou un monsieur) qui prend du plaisir à faire très mal à un monsieur (ou une madame). Le SM reste dans l’esprit du tout-venant, un homme avec une cravache qui flagelle une femme attachée ou vice versa. Merci 50 nuisances de griffonnage. Mais on nous a menti. Et ce mensonge nait à cause de Wikipedia tout d’abord, puis du gentil Richard Von Krafft-Ebing, psychiatre teuton qui s’intéresse très tôt aux tétons et thèmes contigus au 19ième siècle. Malgré les avancées qu’il a pu faire dans le domaine de la sexualité, ses analyses comportent des erreurs dont nous portons encore les stigmates 140 ans plus tard. Tout simplement en attribuant aux mots sadisme et masochisme des pathologies qui ne correspondent pas aux personnages. Il est donc le premier à proposer une définition médicale de deux maladies mentales dans son livre Pychopatia Sexualis de 1886. Concept applaudit des deux texticules par son pote Freud et autres psychiatres à l’accent rauque qui s’extasièrent devant la complémentarité des deux pathologies et qui évoqueront dès lors le « sado-machisme ». Malgré le travail intéressant de Gang-Ebing (j’aime bien l’affubler de ce sobriquet), il a attribué des sous catégories plutôt cocasses : assassinat voluptueux, torturer et tuer des animaux, nécrophilie, sadisme de la femme… Bref des sous-ensembles qui nous semblent ridicules désormais mais qui surtout ne correspondent pas aux écrits de Sade. Premier décalage entre mythe et réalité. De plus, malgré ce que Wikipedia veut faire croire Krafft-Ebing n’a pas inventé le mot « sadisme ». Il n’en revendique d’ailleurs pas la paternité. Une note de bas de page du Psychopathia Sexualis (page 79 version française) stipule : « ainsi nommé d’après l’infâme Marquis de Sade dont les romans obscènes sont ruisselants de volupté et de cruauté. Dans la littérature française « sadisme » est devenu le mot courant pour désigner cette perversion ». ![]() J’ai donc continué mon enquête pour découvrir qui a utilisé pour la première fois le mot sadisme. Et j’ai réalisé cette recherche pas à pas, en cherchant tout d’abord quelle « littérature française » évoquait le sadisme. Ce sont en fait pas mal de journaux de l’époque qui évoquaient autant les faits divers de meurtres et viols, que les dénonciations politiques que des billets d’humeurs sur les écrivains de l’époque. Et remontant encore, j’ai pu découvrir grâce à un article du Dr Pascal Pierlot, que le mot sadisme a été créé et définit 20 ans à peine après la mort de Sade, en 1834, dans le dictionnaire de Boiste par ces mots : « Aberration épouvantable de la débauche, système monstrueux et antisocial qui révolte la nature ». C’est donc une vision dépeignant une attitude allant à l’encontre de la morale et de la société. Krafft-Ebing n’a donc utilisé le mot sadisme que pour le traiter sous l’angle pathologique. En cela, oui, on peut le donner inventeur de l’aspect médical mais c’est tout. On aime à faire remarquer que Krafft-Ebing n’utilise pas le mot « sadique » mais « sadiste ». Mais « on » est un con. C’est juste une erreur de traduction de l’époque. Mais il faut avouer qu’il n’utilise le mot « sadist », en version originale, que 4 fois contre plus d’une centaine de fois le mot « sadismus » pour sadisme. Comme je l’ai évoqué dans le texte le BDSM n’est pas une communauté. Les pratiquants du mal nommé BDSM n’ont peut-être pas envie de se définir par rapport à une pathologie. Certainement plus dans des pulsions mais surtout à l’encontre de la bien-pensance. Et donc la première définition du dictionnaire de Boiste serait plus appropriée pour tout rebelle social anti procréatiste (néologisme). Je dis cela car tout le monde fait référence maintenant à Krafft-Ebing et surtout les journalistes un peu people ou rédacteur de contenu pour des blogs « pour femmes » genre « comment pimenter la sexualité de votre couple en 5 leçons ». On veut faire « intelligent » et surtout un peu sulfureux sans savoir de quoi on parle. On fait des enquêtes en 3 recherches internet : wiki, doctissimo et le blog d’une soumise en vogue ou une domina américo-néerlandaise qui a pignon sur underground. Alors, première conclusion : arrêtez de dire que c’est le docteur Kraft Bling Bling qui a inventé le mot sadisme. Définitivement. Il ne faut pas confondre cultureux et sulfureux. Je vais remettre une couche sur mon avis à propos de Sade. Quand on lit Sade, on s’aperçoit que les descriptions sont plus larges et philosophiques que simplement infliger de la douleur physique. On se rend compte que Sade est libertin, voire libertaire. Oui les écrits du Marquis sont détaillés, parfois cruels, mais il prend moins de plaisir à infliger la douleur qu’à pervertir ses conquêtes. Oui, la notion de consentement n’existe pas mais Sade a dit « Je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre, et ceux-là me liront sans danger. » Il est ainsi bizarre, n’est-il pas, que la notion d’intelligence et de maturité sorte de la bouche d’un « scélérat » ? Je pense qu’il y avait deux Sade : le planteur de graine de transgression, le jouisseur, le dominant certes. Mais aussi et surtout le libre penseur. C’est ainsi qu’une citation de Juliette Ou Les Prospérités Du Vice, reste pour moi le point de départ de mon appréciation de Sade et de mon entrée dans le BDSM : « Ce n'est jamais dans l'anarchie que les tyrans naissent, vous ne les voyez s'élever qu'à l'ombre des lois ou s'autoriser d'elles. » Si on ajoute que l’analyse de plus en plus répandue qui affirme que Sade ne décrit pas ses propres actes mais ceux auxquels il a pu assister quand il fréquentait les maisons de petites vertus et des habitudes particulièrement outrageantes de ses congénères. On en arrive à conclure que le Marquis était effectivement un grand libertin imaginatif mais il y avait un second degré et une forme de dénonciation de l’hypocrisie de ses contemporains et du dirigisme de la royauté religieuse. A ce propos je digresse mais je me raccroche à l’actualité brûlante puisque l’État Français, le 9 juillet 2021, avec l’aide de « mécènes » vient de se rendre acquéreur du fameux rouleau des 120 journées de Sodome pour 4,55 millions d’Euros. Le ministère de la Culture qualifiant cet ajout à la Bibliothèque Nationale de «Véritable monument, texte capital de la critique et de l'imaginaire, sulfureux et devenu un classique, il a profondément marqué de nombreux auteurs ». CQFD (C’est du Cul Faut le Défoncer). Sade au Panthéon certes, mais il reste les mots sadique et sadisme. Paradoxalement c’est quand le mot sadisme devient un nom commun qu’il libère Sade l'écrivain. Le qualificatif peut être adjoint à n’importe quelle situation ou personne. Sade est un sadique parmi d’autres et surtout il n'est pas le premier, ni le pire. Et pourtant…Et pourtant si j’avais le pouvoir de changer les choses j’aimerais changer « Sadisme » en « Bathorisme ». ![]() Élisabeth Bathory (1560-1614) fut une comtesse hongroise à qui l’ont a attribué une bonne centaine de victimes (650 dans certaines versions) et qui aurait torturé jusqu’à la mort des jeunes femmes de différentes façons en y mélangeant sexe, humiliation pour finir par les exsanguer afin de se baigner dans leur sang pour préserver sa jeunesse. On lui attribue d’ailleurs une part du mythe du vampirisme (et donc pas seulement celui issu de Bram Stoker dans Dracula inspiré du prince de Valachie Vlad Tepes mort en 1476). Elle serait une psychopathe serial killeuse qui prenait énormément de plaisir à faire souffrir. Je lui concèderais bien la maternité de la lignée des tortureurs impuissants qui n’ont d’autres choix que de faire mal pour avoir un soupçon de plaisir. Là où les Sadiens dominent leurs soumises par désir sexuel et de liberté, les bathoristes prennent un réel plaisir à annihiler l’existence et torturer. Vous allez me dire que c’est exagéré de prendre le nom d’une tueuse en série pour renommer le sadisme, mais au final pourquoi pas ? Les crimes que l’on attribue à Elisabeth Bathory sont bel et bien issus d’une maladie mentale. Alors qu’ouvrir les esprits et conquérir des corps me semble plus positif. Là encore, l’Histoire n’a pas finie d’être démêlée car s’il est évident que des allégations comme les bains de sang et les vierges de fer ne trouvent leur origine que dans des écrits édulcorés, on ne sait pas si le fameux procès de l’époque avec témoins ne fut pas non plus un moyen de récupérer la richesse de la comtesse. Mais quitte à s’attribuer un mythe pourquoi ne pas préférer (je sais j’insiste) le Bathorisme au Sadisme ? J’aimerai bien ainsi affirmer que je suis un domantique Sadien et non un bathoriste vampiriste. Restons raisonnables, le mot sadisme est bien trop ancré dans l’esprit de tous pour changer de terme. Mais vous saurez désormais d’où vient sa véritable création et utilisation. C’est comme le Macronisme qui veut dire « dire tout en même temps que son contraire ». Et j’entends mes amis me susurrer : tu es un sadique comme les autres. Tu te repais du plaisir des douleurs et perditions de ta soumise. Arrête de te cacher derrière des mots et assume le plaisir des maux. Ethan illustration : Le Nom de la Rose, Jean-Jacques Annaud, 1986 P.S. 1 : Au 15 juillet 2021, j’ai proposé la modification sur Wikipedia qui est supposé tenir compte de la définition sociale antérieure du sadisme avant celle médicale de Krafft-Ebing. Mais des empêcheurs de corriger en rond reviennent aux versions précédentes. Espérons que cette modification tienne. Du coup, j’ai envie de dire « et bing dans ton cul ». P.S. 2 : Il a fallu que je me fasse aider pour enfin trouver le Graal qu’est cette huitième édition du dictionnaire universel de Boiste corrigé par Charles Nodier de 1834. Je remercie donc de NuitdeTokyo (Fetlife) qui m’a fait découvrir la capacité de reproduction en ligne de la BnF (Bibliothèque Nationale de France). Et Univers-BDSM qui a déjà écrit un article similaire et avait effectué le travail en amont sans que je le sache. P.S. 3 : je me marre tout seul pour le mot claquedermiste. Des fois je me trouve trop con, mais drôle.
2 Commentaires
Les personnes qui ont -de fait- confisqué les termes en rapport avec le BDSM dans Wikipedia en français ont une MAUVAISE ATTITUDE, sont élitistes, ignorants, et disent trop souvent N'IMPORTE QUOI. Les articles en question sont si mauvais que je déconseille fortement dans mes articles d'aller les consulter...
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Ethan
17/7/2021 19:19:49
Wikipedia est à la fois un miracle (beaucoup de culture à porté de clic), mais aussi pas mal d'erreurs. Il est nécessaire de savoir "lire" wikipedia.
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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