![]() Dans les mots écartelés, regardons de plus près un ensemble de néologismes assez récent et qui tentent de caractériser un statut entier d’un maître et de soumise. Étudions donc l’alpha, le primal, le loup et autres bêtes à poil. Je traiterais le primal en seconde partie mais il s’avère qu’il est extrêmement proche de l’alpha. Le terme alpha a la peau dure puisque presque tout le monde comprend ce qu’il veut dire et qu’il pense être capable de l’expliquer. Je dois avouer que je l’ai même utilisé pour caractériser ma sensation de ne pas supporter la proximité d’une autre homme lors d’une partie de jambes en l’air. J’ai évolué depuis. On croit que le terme alpha viendrait du leader d’un groupe, notamment le loup, qui dominerait à la fois les femelles et les autres mâles du groupe. Ce terme a tellement résonné dans l’esprit de tous qu’on l’utilise pour justifier le fait d’être un gros con dans la vie. Je suis un mâle alpha, même si j’ai tort, je domine ce qui m’entoure, bla bla… Hé bien, le mâle alpha de la meute de loup n’existe pas. C’est même un mythe qui a la peau aussi dur que le taux de fer dans les épinards. Pire que tout, vous allez comprendre pourquoi désormais il faut vraiment arrêter de s’identifier à ce mythe. 1) Loup y es-tu ? Le mythe du mâle alpha vient de Rudolf Schenkel, un zoologiste allemand à la fin des années 40. L’expression est conçue pour désigner l’animal ayant gagné le rang le plus haut placé dans la meute à l’issue d’un processus de compétition. Aux fondements de cette description se trouve une autre notion, celle de hiérarchie de dominance, qui remonte quant à elle aux travaux de l’éthologiste norvégien Thorleif Schjelderup-Ebbe au début des années 1920. Ce dernier avait observé chez la poule domestique l’émergence d’une « hiérarchie des coups de bec », une structure de domination linéaire dans laquelle chaque poule a la préséance sur une autre. Problème, ce que l’on a accepté comme un acquis depuis des années ne se révèle pas tout à fait exact. Le mâle alpha existe plus ou moins dans des grandes meutes qui sont en fait assez rares. Il domine parce qu’il est le plus fort mais son rôle social n’est pas si flagrant quand il s’agit du toilettage ou de se nourrir. Si on regarde l’étude de Rudolf Schenkel, on comprend vite le soucis : il n’a étudié en fait qu’une dizaine de loups en captivité dans une cage de 10 X 20 mètres. Les objectifs et priorité des loups dans ce contexte sont totalement différentes. Quand la survie n’est plus en jeu, les habitudes changent. Des observations plus récentes, en milieu sauvage, sur plusieurs dizaines d’années par David Mech (1), détruisent totalement la théorie du mâle Alpha. En fait de meute, les loups vivent en famille. C’est à dire le papa, la maman et leurs louveteaux. Il existe des meutes plus nombreuses notamment aux États-Unis quand le nombre augmente dans une réserve. La nécessité de protection et de cibler un plus gros gibier devient alors nécessaire. Mais la hiérarchie est plus complexe qu’un male ou un couple alpha chefs d’un gang d’omégas. Le chef à un rôle de protecteur. Il ne marche pas en tête mais en queue de convoi pour détecter une attaque éventuelle. Celui qui est en tête est le plus vieux loup pour que tout le monde aille à sa vitesse. Les petits et les plus faibles sont au centre pour être protégés. Ainsi, le rôle de l’alpha est cantonné à la défense mais il n’a pas de passe droits sur toute une meute. Les loups sont d’ailleurs monogames. Les louves prennent l’initiative de la chasse. Les plus vieux sont respectés et décident du chemin. Et si la vision souveraine du mâle alpha en prend un coup dans le monde animal, elle est encore moins transposable chez l’Homme. Comme dit l'anthropologue Mélanie Gourarier : « Le mâle alpha n’existe pas. Ni en tant qu’homme, ni en tant que personnage disposant de qualités qui seraient définies une fois pour toutes. Le mâle alpha, c’est ce qu’on projette comme étant la masculinité idéale. C’est un concept vide que l’on remplit ». On le remplit d’ailleurs de choses qui sont autant positives que négatives comme la volonté de puissance, le charisme, l’autorité. Bref de l’ego et encore de l’ego. 2) Neuro chiance Les neurosciences viennent éclairer le fonctionnement du cerveau. Des études chinoises ont permis de pointer et stimuler une partie du cerveau nommé le cortex préfrontal dorsomédial (CPD). On l’attribut à tort au désuet male alpha alors que ce n’est que n’est la zone d’agressivité de l’on stimule (2). Autre étude qui concerne directement les hommes : celle qui révèle que l’alcool endort la partie du cerveau (toujours la même) qui gère l’agressivité (3). Ainsi si on avait une réel objectif de vie ce serait de maitriser « l’alpha » agressif en nous au lieu de lui laisser libre court. Je ne vais pas m’étendre sur les neurosciences car une bonne moitié des tests sont réalisés sur des singes rhésus ou des rats. Il y a quand même un paradoxe de lier l’Homme au monde animal surtout dans le domaine social. Ces recherches ne font que faire perdurer les paraboles en figeant l’Homme dans un moule primal. Si c’était totalement vrai, le fragile humain ne serait pas arrivé au sommet de la chaîne alimentaire, ni inventeur de sa propre destinée. 3) La mode des mythes Depuis la fin des années 90, les gourous de la séduction aux États-Unis vendent un savoir-faire pour draguer les filles (pick up artists) et revendiquent cette vision pour gonfler l’ego des élèves. On doit être le mâle alpha et obtenir donc la plus belle des filles. C’est en filigrane ce qui ressort des films où la plus belle, chef des pom pom girls, est notoirement en couple avec le capitaine de l’équipe de foot. On notera que la notion de mâle alpha est particulièrement connotée blanc et hétérosexuel. Outre atlantique le concept dépéris désormais, noyé dans son propre paradoxe. Comme tout arrive en retard sur le vieux continent, on trouve encore des coqs qui bombent le torse et qui jouent au dominateur. Pis on trouve avec 20 ans de retard des coachs en séduction empêtrés dans des concepts surannés et faux. Il est facile de trouver sur le net des articles en français qui vantent et expliquent comment devenir un « mâle alpha ». Je vais me permettre d’égratigner le concept du vieux continent très méditerranéen de machisme. Le macho est la version encore moins expliquée du mâle alpha. Ce n’est qu’une attitude floue qu’enfile les mecs un peu bourru parce qu’ils ne savent pas jongler avec les subtilités sociales. Le machisme c’est une éducation martelé à des garçons que l’on a cantonné dans l’idée de « sois travailleur, bois de la bière et tais-toi ». Ainsi les concepts d’ouverture d’esprit sont au mieux ignorés, au pire traité par le mépris. Pas de la peur, non, juste de la bêtise. A noter que la machisme a tendance à s’étioler avec l’expérience de la vie. Les hommes finissent par apprendre. Pas tous malheureusement. Parce c’est qui est bien le vrai problème au fond, c’est que des concepts de machisme ou de mâle alpha font perdurer des attitudes oppressives et au final les violences conjugales. 4) Alphéministe Il y a nécessité à tordre le cou à la fable du mâle alpha surtout en ce moment en raison de ses conséquences contemporaines. Il y a de nouveaux concepts qui reposent encore plus sur du vent que Schenkel. Des théories évolutionnistes sans Darwin, des statistiques hors contextes et des conclusions rocambolesques avec des solutions hors sol. Vous en voulez une ? Évoquons Peggy Sastre, créatrice de « l’evofeminisme », qui explique que la culture du viol a une base génétique et un but reproductif afin de perpétrer le gène de l’agressivité. Et tout cela en picorant de ci de là des extraits d’études scientifique qui viennent nourrir sa propre perception. Une femme douce s’il en est puisque qu’elle a affirmé que « la grossesse et l’élevage des enfants sont l’une des pires sources d’aliénation possibles. » et je pense qu’elle utilise le mot élevage dans son sens bestial. Bref, la base de sa théorie est que le patriarcat et l’agressivité masculine sont transmis génétiquement depuis la nuit des temps. Et que donc la domination masculine ne serait pas sociale mais biologique. Et que ce serait même les femmes préhistoriques qui en seraient à l’origine : puisqu’elles auraient choisi les hommes les plus agressifs pour se protéger. Et depuis 20 000 ans maintenant, la fascination de la force et la brutalité perdure chez la femme à cause des choix de la femme des cavernes. Donc, pire que la théorie du mâle Alpha qui surviendrait au hasard dans les tribus, ce serait une hégémonie biologique qui ferait perdurer le patriarcat et la domination masculine. La solution étant, je pense, l’émasculation de tout homme un peu trop mâle, pour commencer à faire perdurer une lignée d’hommes plus doux. Nous sommes assez proche du Meilleurs des Mondes version féministe. Le discours dit sociobiologique a le vent en poupe. Meike Stoverock est une bloggeuse et biologiste allemande. Enfin, elle est biologiste vétérinaire pour être exact. Elle commence sa plaidoirie sur une statistique à l’origine nébuleuse qui dit que 80 % des hommes sont des « incels » : involuntary celibate, des célibataires involontaires qui n’attirent pas les femmes (4). Les 20 % restant sont des mâles, des vrais, de purs qui se réservent la part du lion à savoir la plus grande partie des femmes. Reste que ce 80 % de « loosers » ont des pulsions sexuelles naturelles (biologiques) qui ne supportent pas la compétition sexuelle. Cette énorme portion d’homme se tournent donc vers la violence sexuelle pour apaiser leurs pulsions. Ainsi la solution qu’elle propose pour devenir moins méchants et ne pas violer, c’est qu’ils devraient se tourner vers des solutions comme l’homosexualité, les robots sexuelles et la prostitution. Là encore, c’est un ouvrage à double détente qui commence par la théorie douteuse d’une origine biologique unique à la masculinité toxique donnant une espèce de fausse excuse à la situation actuelle. Mais la « solution » montre bien toute la faiblesse de la théorie puisqu’on en revient simplement à réduire l’homme à une bête qu’il faut traire pour qu’il devienne gentil et sociable. Et c’est un des angles de la pensée néo-féministe actuelle : utiliser des moyens détournés pour affaiblir la position sociale du mâle en le faisant passer, par exemple, pour un simple animal. Nous ne sommes plus dans la période de revendication de l’égalité homme/femme (qui est toujours en phase d’échec il faut l’avouer), mais dans le combat niveau science-fiction. Donc, on souhaite détourner le concept de mâle alpha contre lui-même. En avérant son existence, on justifie de solutions qui vont de l’eugénisme au parcage de l’homme dans des fermes à éjaculation. Pourquoi pas. Si après j’ai droit à mon canapé, ma bière et Netflix. Laissons la gente féminine gérer nos gènes, notre Histoire et l’organisation sociale. Ce ne sera peut-être pas pire que maintenant. La queue du loup (conclusion) Oui, nous sommes en 2022. On a peine eut le temps de casser un mythe qu’il est ressuscité de ses cendres par celles qui combattent le patriarcat. Un patriarcat qui doit certes être renversé, mais les arguments d’un côté comme de l’autre, sont hors sol. J’ai envie d’évoquer le besoin d’une accentuation de l’éducation sexuelle qui doit être aussi sociale. Mais l’obscurantisme n’est pas que religieux. Il est sur tous les fronts actuellement : le social, philosophique, psychologique. Et la théorie du Rasoir d’Ockham fait des ravages. On part d’une idée trop simple, une statistique imparfaite, un extrait tronqué d’une étude scientifique, on saupoudre le tout de de phrases hors contextes de philosophe ou penseur(se) et Bienvenu à Gattaca. Je ne peux que répéter que le BDSM avec sa recherche intrinsèque concernant nos pulsions et les moyens de les satisfaire en conscience, permet d’avancer sur l’humain. Oui, certains utilisent le BDSM à mauvais escient. Ils copient mal des savoir-faire pour assouvir un sadisme sans penser à l’autre. Mais, heureusement, bon nombre de pratiquants y trouvent un équilibre personnel et relationnel et même social. Si nous continuons cette recherche de nous-même, des méthodes et un état d’esprit positif peuvent devenir des exemples. En attendant, s’il vous plait, n’utilisez plus le terme mâle Alpha, bande de bêtas. Références :
Ethan Illustration : Film Alpha, 2018, réalisé par Albert Hughes
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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