![]() Si vous avez lu quelques-uns de mes textes précédents, vous avez certainement remarqué mon côté vieux jeu appréciant particulièrement les leçons du passé. Sans compter une certaine amertume sur les “djeuns” un peu consommateurs égocentrés utilisant sans vergogne des appellations déviées de leur sens d’origine : alpha, loup, primal…Mais à chaque aventure j’avance et évolue. Gwen et moi avons participé au Munch & Play de Munch du Lug. Lug, bien évidemment pour Lugdunum, nom romain de la ville de Lyon. Sur Fetlife, l’annonce de leur soirée prévoit plus de 100 personnes qui veulent s’y rendre et 70 “maybe going”. Dont nous. Nous nous sentons pusillanimes de vouloir sortir dans ces évènements sans que ce soit une crainte rationnelle. Gwen reste une soumise timide même si le fait que je montre ses fesses blanches, puis rouges, l’excite énormément. Crainte non fondée car l’accueil est formidable. ![]() Pour commencer par le commencement. Ce munch & play qui est installé régulièrement de longue date (avant covid c’est dire), est bien organisé par des personnes disponibles et conviviales. Dandy, Marquis, Solas et Garras, les organisateurs, sont plutôt compétents dans ce domaine en marge. Cela se passe à la salle concert Rock N’ Eat avec les classiques difficultés pour se garer. Et on arrive dans un sous-sol vouté aux accents punk-rock des années 80. Ambiance qui sera accentuée un peu plus tard par une playlist musicale new wave et cold wave années 80. Savait-il combien ils m’ont fait plaisir en jouant Soft Cell Tainted Love et Dépêche Mode Master & Servant ? Titres qui font d’ailleurs partie de mes propres playlists BDSM de par leurs paroles à double sens. Nous étions venus avant tout pour l’artisanat. Fabricants, revendeurs. Du matériel de qualité avec en bonus le côté unique de chaque pièce. Gwen et moi avons craqué pour un martinet. Heu non, on me dit que c’est un flogger. Anglicisme quand tu nous tiens. Avec un flogger, je fouette Florence. Avec un martinet, je flagelle Martine. Ce pourrait être une chanson des Partenaires Particuliers. J’ai besoin d’un instrument plutôt doux pour chauffer les chairs en début de séance. Nous avons donc commandé auprès du Glaive de Thémis, un outil à 30 brins (au lieu de 40 ou 80) qui va arriver en mars. Et Gwen a eu un coup de cœur sur ce qu’on appelle un Foehn. Un manche avec des baguettes. Plutôt sympathique et piquant. Pourquoi l’appellation foehn qui, comme tout le monde le sait, est un courant d’air chaud typique des montagnes ? Nous y reviendrons quand j’aurai reçu le matériel (musique de suspens). Une mention spéciale pour Ronce de Cuir qui est capable de fabriquer sur place quelques pièces à la demande. Dans mon cas j’avais égaré la laisse du collier de ma soumise. Accessoire totalement nécessaire au milieu de la foule pour à la fois montrer qui est qui et ne pas perdre sa soumise. Bref, une jolie laisse classique réalisée en quelques minutes nous a bien dépannés. Quand je dis “qui est qui”, je ne plaisante pas. Car c’est bien le côté typique (ou atypique ?) de ces munchs : la population est extrêmement bigarrée et les styles et les genres sont mélangés, voire flou, ou large, ou multiple. En tout et pour tout, j'ai dû croiser à peine un dom classique comme moi genre BCBG avec sa soumise en laisse et il avait 25 ans de moins que moi. Certes, ils devaient être plus nombreux mais en tout cas bien noyés par les couples domina/soumis mais surtout par une faune de kinksters en relation amicale les uns avec les autres mais semblant non accompagnés. Si on remarque facilement un grand mince en tenue latex beige complète avec un gilet sans manches accompagné de sa consœur avec un masque à gaz de belle facture (la fille et le masque), on remarque aussi très vite des hommes à barbe type Bears habillés en jupe étroite, bas résille et talon haut. Ou robe et rangers. Beaucoup de sangles, c’est la mode. Un peu de harnais en corde et nudité, semi-nudité. Il y a les matières : le cuir, la paracorde, le métal et le latex. La plupart du temps bien porté par des êtres décontractés et souriants. Oui, des êtres, car on arrête très vite de se demander le sexe, le genre ou les kinks des personnes que l’on croise. On se laisse aller à être juste qui on est. Heureusement qu’on ne décide pas de débarquer chez Mcdo. Cette enseigne qui propose “venez comme vous êtes”. Je me sens terriblement à l’aise au milieu de cette foule qui ne semble pas faire attention à nous si ce n’est quelques regards qui me font comprendre qu’ils savent que nous sommes de nouveaux venus. Acceptation, c’est d’ailleurs ce qu’a ressenti Gwen à ce Munch. Si elle avait été impressionnée les premières minutes de notre sortie à la Krypte il y a quelques années par une belle drag Queen black, ou des folles nues, ou des dominas sévères en cuir. Ce n’est pas le cas cette fois où, au contraire, elle se sent tout de suite à l’aise. Nous nous sentons désormais plus proches d’une communauté alternative bigarrée que des vanilles. Bref, une faune originale, pétillante et surtout jeune….Trop jeune me suis-je dit sur le coup. Il y avait certainement une douzaine de quarantenaires. Mais au-dessus de 50 ans ? Nous étions deux ou trois. Non seulement nous sommes vieux mais nous ne représentons pas un courant de pensée ou un symbole de sagesse. Nous sommes juste vieux et très bien acceptés car noyés. Mais j’ai croisé une jeune fille rousse à qui je n’aurais pas donné la majorité même si on m’a assuré qu’elle était bien plus âgée. J’étais sous le choc. Dans ces moments-là j’ai cette réflexion : mais si tu fais du BDSM à 20 ans, des skins parties, cire, impact, knife, aiguille dans un fourretout de genre et de sexualité débridée que vas-tu faire à 30 ou 40 ans ? Ne seras-tu pas blasée, usée voire dégoutée ? Oui je suis arrivé avec cette certitude, je suis reparti sans elle. Car j’ai eu une révélation. À voir tous ces jeunes (et quelques moins jeunes), à la fois spectateurs des autres, s’exhibant et s’offrant à d’autres pour qu’on leur chauffe, découpe, pique la peau. D’autres encore en couple dans leur bulle faisant leur petit rituel de discipline. D’autres se faisant encorder seul ou à deux au milieu de la foule ou en petit comité. Ceux qui se chevauchent et se collent sur un cheval d’arçons à en devenir un seul être au genre indéfini offrant plusieurs croupes pour recevoir des coups de fouet et de paddle à tel point qu’on ne sait qui souffre, qui soutient, qui vibre des plaisirs ou souffrance de l’autre. Ceux qui sont dans leur coin, ceux qui vous saluent d’un grand bonjour quand vous passez devant eux alors qu’ils enfilent des camisoles de force. J’en passe et des meilleurs parmi toutes les possibilités que l’imagination peut invoquer. Sauf peut-être, le sexe. Certes nous sommes partis tôt (17h – 23h nous a semblé suffisant) et si j’ai vu et ressenti de l’amour entre les êtres je n’ai pas vu d’érection, de pénétration, ni de caresses buccogénitales. Des culs, oui, beaucoup, offerts, blancs, rouge et bleu. Des soupirs bien sûr, ceux de l’extase sadomasochiste. Mais de la mise à disposition sexuelle, ou ne serait-ce que des caresses poussées, non. Peut-être plus tard dans la soirée quand les corps meurtris veulent se nourrir ou s’offrir d’autres sensations. Quelque chose m’a interpelé dans mon attitude. J’étais heureux et sociable. Mais je n’ai pas eu l’ombre d’un instant un début d’érection ou d’excitation sexuelle. À tel point que j’en m’en suis étonné auprès de Gwen. Il y a d’abord la vigilance due à la protection que je dois à ma soumise en premier lieu qui ne permet pas de s’évader. Je l’explique aussi par un verrou personnel psychologique que j’ai dû mettre en place par réflexe. Histoire de bloquer le chien pervers qui est en moi. Parce que oui, non seulement ces êtres étaient jeunes mais ils étaient beaux. Toutes les formes étaient très attirantes. Des poitrines fines et bondissantes ou généreuses et tendres, des culs harmonieux, des courbes graciles ondulantes et virevoltantes. Certainement plus d’ailleurs que dans un club libertin de province qui pourtant nous vend lui du sexe à tout va. Non, là, c’est spécial. C’est à la fois hard et respectueux. On torture, on s’offre, on fait mal et on souffre mais avec le sourire. C’est à la fois des pratiques poussées et consenties dans une ambiance bon enfant mais studieuse. À l’image des accolades fraternelles entre impacteur et impacté(e) en fin de séance. Respectueuse quand on marche dans la foule et où on fait attention de ne pas trop se coller. Car, ne l’oublions pas, il y a de la chair visible et très proche à chaque pas. Il est particulièrement important d’éviter de se frotter ou d’avoir les mains baladeuses. Le regard est déjà suffisamment gâté. On est même invité à assister sans retenue aux séances diverses. Mais je devrais dire session. Car on m’a gentiment répété flogger au lieu de martinet, needle au lieu d’aiguille, knife play au lieu de couteau. Sans compter les spankers, spankee, top et bottom qui surclassent et effacent les doms, maitres et soumises. Nous avons eu le privilège de monter “au donjon” à l’étage qui n’est pas encore terminé. L’idée principale est d’avoir créé des cellules plus intimes pour que les duos (pas couple) puissent pratiquer sereinement avec moins ou pas de spectateurs. Les lumières sont différentes à chaque fois et la plupart du temps sombre ou disco. Ici une pièce avec un simple pouf deux places, là un triangle de suspension, une autre avec camisole et nécessaire à shibari. Enfin, la classique croix de Saint Andrée. Une pièce plus grande permettant de ligoter deux personnes l’une à l’autre avec quelques spectateurs, un coin pour discuter tranquillement. L’idée est bonne. Sauf que, malheureusement, je trouve que la largeur des cellules est très insuffisante. Il est très compliqué de faire de l’impact et même du shibari dans de bonnes conditions. L’idée est tellement bonne mais il m’aurait paru nécessaire que chaque pièce fasse le double de surface pour permettre une pratique confortable. Ceci dit, l’impression cellule de prison moyenâgeuse avec porte grillagée est du plus bel effet. J’ai pu exhiber les jolies fesses de Gwen à un couple pour une séance martinet-canne qui a laissé quelques jolies traces. La Croix de Saint Andrée fut décevante car je n’ai pas pu fouetter en longueur, ni faire d'enroulé. Il n’y a guère que le martinet, pardon, le flogger, qui peut passer en fouettant léger. L’ambiance allait crescendo alors que nous quittons bien trop tôt cet antre de luxure et néanmoins festive. Les culs bleuissaient sous la lumière rouge, les soupirs se transformaient en cris d’extase sadomasochiste. Des couples s’embrassaient à pleine bouche en vérifiant du coin de l'œil qu’ils étaient observés. Les êtres de toute nature passaient les uns après les autres sur les chevalets et les tables pour tester fouet, cire, couteau, paddle, chaine, cordes dans une chaleureuse ambiance. La force des coups s’accentuait, l’excitation elle aussi montait. Et nous nous sommes éclipsés. Convivialité, c’est peut-être le mot qui va me permettre de conclure. Le staff est nombreux et de tout poil. Ils sont tous à l’écoute, observateurs attentifs et vraiment très gentils. C’est ce qui fait aussi que tout se passe aussi bien. Avec le recul, c’est tellement nécessaire. On se retrouve au milieu de 150 personnes en train de s’adonner à des pratiques violentes, il est nécessaire de bien encadrer l’action. Et les organisateurs sont présents partout, se rappellent de vous, viennent vous chercher pour vous dire que les cellules du haut sont disponibles. Ils sont parfaits. Alors, j’en reviens à cette révélation personnelle. À ce changement d’avis qui m’est survenu. Après cette expérience au sein de jeunes kinksters. Après cette inquiétude sur l’âge des participants. Après les avoir vus évoluer et pratiquer, je suis plutôt impressionné et rassuré. Ces personnes développent un BDSM tout à fait positif avec une attitude nette et joyeuse. Certes orienté consommation de fétichisme mais ouvert d’esprit. Je vais même vous dire : j’ai aperçu l’avenir optimiste d’une société, et pas seulement celui du sexe alternatif. J’ai vu le futur. Celui d’une société transgenre à la sexualité décomplexée, totalement compréhensive et acceptante des particularités de chacun. On peut espérer que dans ce groupe à la fois bigarrée et homogène il y ait comme une vague qui fait son propre nettoyage interne. Le pervers, le toxique, le mort de faim sera discipliné ou éjecté par la communauté de manière naturelle. Impossible, ou en tout cas difficile, de venir et penser agir comme un abuseur sans que cela se sente ou se voit. Oui, l’espace d’un instant, avant de refermer la porte, j’ai vu le Woodstock du BDSM. Confiant dans l’avenir. Ethan * young restless : comme quoi l’anglais c’est mieux car en français la série s’appelle les Feux de l’Amour. :) Illustration : Chapeau Melon et bottes de cuir, Saison 4 épisode 21, Le Club de l'enfer (A Touch of Brimstone)
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Auteur
Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
Catégories
Tous
|