![]() Sade reprend peu à peu des couleurs. On ne saurait bien sur le comprendre qu’au travers des textes mais pour cela il faut quelques clés. De très bons analystes littéraires ont produit des éclairages sur la vie de Sade qui permettent de mieux comprendre ce qu’il pense, ce qu’il a fait et ce qu’il veut dire. J’ai donné comme exercice à ma soumise l’analyse d'un extrait de Sade issu de la philosophie dans le boudoir. Il est certes un peu long et on s’épuise sur la fin qui ne ressemble guère à une conclusion. Mais, pour les deux tiers, on retrouvera les chevaux de batailles de Sade. L'histoire : On trouve 3 protagonistes. 2 complices expérimentés et une jeune ingénue qui au fur et à mesure des dialogues va vivre des expériences sexuelles inédites. Bien évidemment, je vous conseille de lire ce texte pour bien comprendre de quoi il en retourne. Mais je vous livre ici le contenu de l’exercice qu’a réalisé ma soumise et mon explication de texte. Exercice :
Lire, résumer le texte de Sade : la philosophie dans le boudoir, dialogue numéro 3. Répondre aux questions 1) Quelle est la position de Sade face à Dieu ? Gwen : Il n'y a pas de preuve de son existence et s'il existait ce serait le pire des êtres et des fainéants car après avoir créer c'est nous il ne sert plus à rien. Incapable qu'il est d'agir sur ce qui se passe dans le monde. Ethan : Oui mais il n’y a pas que ça. Dans l’esprit de Sade, s’il existait il ne nous demanderait pas d’être chaste mais en accord avec la nature et notre nature. C’est l’approche naturaliste où Dieu est en toute chose même en nous. 2) La religion face à la nature ? Gwen : je n'ai rien saisit de cela. Ethan : Il dit que la spiritualité existe mais que les religions, les dogmes, faites pas les hommes sont des carcans dont il faut s’extraire. 3) Quels sont les thèmes non sexuels reliés à une philosophie ? Gwen : religieux, inventées pour contraindre les hommes. Maternel : une mère ne sert à rien et devrait être tuée. Paternel : un père doit éduquer sa fille et la laisser libre ensuite sans chercher à la contrôler. Ethan : Pas mal du tout. Les évoquer est subtil de ta part. Effectivement, on a là les prémices de Freud, d’Oedipe, de l’éducation….Bravo. 4) Quels sont les principaux arguments de Sade et madame Saint Ange pour convaincre Eugénie de devenir libertine ? Gwen : Je dirais simplement prendre du plaisir où on le peut et en jouir. Et ne pas écouter la morale et la vertu qui ont été inventé. Ethan : C’est exactement cela. J’ajoute : ne pas se juger, laissez aller son être naturel et ses ressenties même négatifs comme c’est le cas de son envie de meurtre de sa mère. En cela Sade est largement en avance sur Freud. Quand on comprend cela, on comprend aussi que les perversions évoquées ne sont pas des actes réalisés mais des fantasmes. 5) Quels sont les paraphilies évoquées et actes réalisés ? Gwen : sexe buccal, anal et vaginal, libertinage, prostitution. Ethan : En fait, Il y en a beaucoup plus. Le libertinage n’est qu’un thème général. Il va parler de pédophilie, homosexualité, scatologie, les odeurs, le gang bang, la bisexualité, l’exhibitionnisme, le voyeurisme… Mon analyse de texte : 1 ) La structure Afin de trouver un moyen supplémentaire de décryptage des textes classiques. A une époque où l’informatique n’existait pas, les auteurs écrivaient de bout en bout sans replacer les paragraphes, les mots. La technique de Sade est cumulative et pyramidale. Il va commencer sur un thème, le ponctuer de sexe pour souligner le plaisir, la rébellion. Il reprendra le thème pour l’élargir, le fignoler, le répéter afin que le message passe. C’est construit comme un dialogue (d’où le nom) : on discute et une idée en amène une autre. Mais il n’oublie pas la morale à chaque étape avec des parenthèses sexuelles qui vont crescendo. 2) On branle le cérébral Outre, l’aspect facilement détectable de sa lutte contre les dogmes et la religion, Sade veut faire passer un message : tout est bon à prendre, rien n’est sale, tout peut se vivre à fond ou à petite dose. Il n’y a pas de liste d’importance, ni de sens. Ainsi, il parle d’acceptation de sa partie primitive tout en parlant techniquement (sodomie, fellation). Mais c’est l’accumulation des paraphilies qui démontre qu’elles sont vraiment cérébrales. La pensée seule permet l’excitation. Quand on comprend cela on décrypte tout le reste. On ne se contente pas de faire appel à une envie et sa réalisation mais à la multiplicité de choses excitantes qui renforce la stimulation. C’est l’acte en lui même, mais aussi la joie de le faire, le dépassement de la limite, l’évocation des souvenirs et la création de fantasmes supplémentaires. Le tout s’accumule, amplifie la jouissance. Dans ce dialogue, l’action est moins importante que l’esprit, la jubilation. Ainsi, j’insiste : c’est l’aspect cérébral qui prime. Le plaisir, mais on devrait dire les plaisirs, sont multiples et conceptuels. 3) Les évocations cachés derrière un mode d’emploi Par exemple, il évoque la scatologie dans la sodomie en disant qu’il est mieux que l’ont touche de son sexe les excréments car c’est plus confortable. Si on dépasse l’image sale, on y trouve pleins de sens : prendre à fond (donc vivre à fond l’acte), ne pas avoir peur des « accidents » en les traitant comme normal voire souhaité. Il faut donc voir aussi ce qu’il ne dit pas sur la scatologie. Il ne dit pas, par exemple, qu’il aimerait qu’on lui défèque dessus. Il n’est donc pas précisément attiré par la scatologie mais le vit de manière simplement décontracté et consciemment vécu à fond car ce serait une preuve d’un acte réalisé pleinement. Ainsi on peut aller plus loin : il va sodomiser Eugénie sans prendre trop de précaution. La douleur fait partie du processus. Et il parle de la transformation de cette douleur nécessaire et voulue en plaisir. Il ne faut donc pas vivre la douleur comme une interdiction mais comme un vecteur supplémentaire de libération, d’acquisition de plaisir et de dépassement de soi. J’ai envie de dire sans vouloir diminuer l’importance de la douleur que c’est comme le sport : progresser dans une discipline c’est aussi se faire du mal. 4) Le mensonge pédophile Avant de sodomiser Eugénie, il va affirmer que deux jours plus tôt il a sodomisé un petit garçon de 7 ans et que cela s’est bien passé. Si on met en avant la cérébralité, on peut déduire qu’il ne l’a pas fait mais qu’il dit cela comme on encourage une personne qui se remet au sport « je cours 50 km par jours, alors tu vas réussir à en faire 3 ». J’argue que Sade n’était pas pédophile du tout. Il n’utilise là qu’une litote. La plupart des gens s’arrêtent au premier degré « il a écrit cela, il le cautionne ». Mais en fait, il faut aller plus loin. Ce que fait Sade est une forme d’emprise purement D/s. Il invente, il encourage au second degré, il force de manière douce. Alors, bien sur, même si lui ne le fait pas, il évoque la possibilité que cela soit fait. On frappe alors sur celui qui en parle comme s’il en était le perpétrateur. On arrive au paradoxe littéral. On ne peut pas militer pour une révolution de l’esprit, une rébellion, une acceptation de tout son être, sans se piéger dans les limites. Sade est pour l’acceptation des désirs les plus noirs. Il plaide pour que tout le monde fasse la même chose. Il prône donc la maturité pour embrasser sa nature. Ainsi, violer pour violer n’est pas dans sa nature puisqu’il n’aime pas les dictatures injustes. Mais dévergonder oui. Donc, est-ce que Sade a fait, ou aurait fait, un acte que nous estimons pédophile ? Non car sa condition est que l’autre ait la maturité pour comprendre, accepter et la capacité d’évoluer. Eugénie est une novice « innocente » mais son acceptation des actes vient de sa capacité de compréhension et d’adaptation. Concernant la pédophilie, il y a la question de l’âge dans notre modernité mais historiquement, il s’avère que Sade n’a jamais été poursuivit pour une forme de pédophilie ou pire. Guy Chaussinand-Nogaret l’a démontré dans son article sur le marquis. Pour résumer : Sade n’a jamais été poursuivit pour des actes de ce genre. Il a certainement assisté à bien pire et ne fait que le révéler au travers de ses personnages. Et je donne ainsi du crédit à sa défense quand Sade affirme « Oui, je suis un libertin, je l’avoue, j’ai conçu tout ce qu’on peut concevoir dans ce genre-là; mais je n’ai sûrement pas fait tout ce que j’ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier. ” 5) Le plus noir des fantasmes ? Dans ce dialogue, on parle aussi de meurtre. La sodomie d’Eugénie, le trio qui fusionne dans la luxure la plus complète, est déclenché par le plus grand secret d’Eugénie : l’envie de tuer sa mère. Le principe est donc de ne pas juger cette envie de mort mais de jouir de l’idée. Ce qui cautionne encore plus que les actes les plus vicieux n’ont pas besoin d’être perpétrés pour qu’on en jouisse. C’est l’évocation de l’Œdipe évidemment et cela bien avant Freud. Cet événement arrive sur la fin comme un point d’orgue. Et on réalise là que les protagonistes ne font que prendre du plaisir sur l’idée de meurtre comme un acte libératoire. On peut alors dérouler le fil depuis le début et s’apercevoir que la cérébralité est bel et bien le vecteur de la jouissance. Conclusion Si je devais résumer de manière un peu narquoise, je dirais : la religion : fausse. Baisons pour la combattre. Les coutumes : un carcan. Baisons pour être libre. Nos fantasmes, nos idées morbides : pas de honte. Jouissons-en. S’il y a un reproche éventuel à faire à Sade c’est la monotonie de sa réponse contre les maux de la société : le libertinage, le sexe débridé qui semble dans son esprit être la seule bonne chose à faire. On peut certainement imaginer que nous avons aussi d’autres plaisirs que celui de la chair. Ces quelques clés sont a garder en tête pour la plupart des textes de Sade. Il n’est pas un délinquant mais surtout un penseur. Certes il est libidineux. Mais il prône l’acceptation de l’entièreté de notre être dans un combat contre les dogmes. Il faut voir l’œuvre de Sade comme le premier à évoquer de manière ouverte des pratiques qui sont monnaie courante depuis des siècles. Ethan
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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