![]() Il fut un temps où je prenais des douches à l’eau froide et n'avalais aucun antidouleur même quand le dentiste m’a enlevé une dent de sagesse. La pratique des arts martiaux (ninjutsu et shugendo) m’avait donné la capacité de contrôler mon corps. Mais ça, c’était avant. Car depuis, une douche bien chaude me paraît essentielle et j’hurle quand je me tape le doigt avec un marteau. C’est mon côté diplomate : j’aime avoir un comportement humain vu que je suis encore obligé de vivre au milieu d’eux pour quelques temps. J’ai cependant gardé une très bonne résistance à la douleur sans être apte à la transformer en plaisir. Je ne suis donc pas masochiste physique (même si je suis un masochiste social en voie de réadaptation). En séance, j’ai pour habitude de démontrer à la soumise que le même coup m’est tout à fait supportable alors qu’elle glougloute comme une dinde (surtout ficelée). C’est le petit bonus « domination mentale avec humiliation » ajouté au jeu d’impacts. Pourtant, il y a quelques jours, en discutant avec une amie masochiste (en plus d’autres capacités dont la mousse au chocolat et la jouissance fontaine apparemment, bien que les deux ne soient pas liés), elle a prononcé le mot « cathartique ». Et j’ai eu un flash. Je me suis souvenu d’une expérience masochiste où j’avais aimé la douleur par obligation. Quel choc ! Alors, là aussi, il est nécessaire de rappeler une chose me concernant, car vous êtes des lecteurs papillonnants au point d’aller chez mac do, de demander d’enlever les cornichons dans le big mac, de le gober en parlant de la honte de la malbouffe. Ou de zapper allègrement de M6 à W9 pour éviter la publicité sans vous apercevoir que c’est la même qui passe au même moment sur les deux chaines. Voire d'affirmer que voter Alexandre Jardin au premier tour serait un acte de rébellion démocratique tout en affirmant qu’il n’y a, définitivement, pas de fromage râpé dans la bolognaise. Je sais cela n’a rien à voir mais c’est justement cela papillonner : consommer en rebondissant de sujets en sujets et en oubliant un truc à mon propos. Bref…
Je suis savoyard (bien que détestant les diots). Comme vous le savez, le savoyard est élevé à 2000 mètres d’altitude uniquement vêtu de peaux de chamois ou de marmottes pour les plus pauvres. Nous sommes sevrés dans les étables à vaches Tarine d’où le fait que nous aimons les femmes bronzées aux longs cils. Nous tétons directement le lait aux pis des vaches avec une bouteille de Génépi dans la main. Nos hochets sont des cloches, nos premières batailles de chevaliers se font avec des bâtons de ski. Nous comprenons très vite qu’Heidi est une goitreuse Suisse. Et à propos de la Suisse, nous savons que la fondue savoyarde est helvétique mais nous laissons les français croire que nous l’avons inventé. Pour nous, l’or est blanc, le fromage est fondu, le soleil se couche à 16h derrière la dent du guignol et on rêve de brouter le massif de la touffe. Notre apprentissage intellectuel est très pointu avec l’ajout des Y dans chaque phrase, des crapauds dans des bouteilles de Gentiane, et de ne jamais, Ô grand jamais, ne laisser tomber un croûton dans la fondue (j'en ai d’ailleurs fait un motif de punition où j’épile les poils disgracieux de ma soumise avec de la raclette chaude enlevé au coupe-fil). Nous détestons chanter "Étoile des neiges" en présence de parisiens et nous connaissons le second couplet secret de « quand te reverrais-je pays merveilleux »… Et surtout, surtout : on apprend à glisser avant de marcher. Tous les savoyards savent skier, surfer, luger. La glisse c’est dans notre ADN. On ne caresse pas, on slalome sur vos courbes. On ne tripote pas, on fait du ski de bosses. On ne vous pénètre pas, on vous enfile comme un tremplin pour vous faire voler jusqu’au firmament (certes en criant « Savoie ou bien ?»). Donc oui, nous skions tous comme des dieux en tenues super branchées. On a inventé le fuseau, la salopette, la combi pour finir par skier en jeans « parce qu’on ne tombe jamais ». Vous l’avez compris : je suis savoyard. Sauf que... ben, j’ai mal aux pieds quand je skie. J’ai toujours été le dernier dans les courses, le premier à proposer de s’arrêter dans un resto d’altitude pour manger une saucisse frites à 25 € et un coca à 10 €, parce que j’ai mal aux pieds dans ces putains de godasses. J’ai donc découvert à 15 ans que j’avais des ongles incarnés à cause des chaussures de ski (Je vous entends dire « oooooh, le mignon petit dominant aux pieds tendres ». Je vous apprends que je suis puceau encore). Sous chaque orteils poussaient un morceau d’ongle qui déclenchait une douleur électrique. Un soir, dans ma chambre à Méribel (oui, à 10 ans, si l’on survit à la retraite aux flambeaux en sac poubelle sur les pistes enneigées de nuit, on monte en grade et on a droit à une chambre), je regardais mes moignons sanguinolents. Et comme j’avais honte (déjà que je n’aimais pas les diots et la mondeuse d’Arbin), j’ai décidé de réparer moi-même ce problème. J’ai piqué un coupe-ongles à ma mère, et un cutter grande taille à mon père (il a toujours un cutter sur lui, il est du bâtiment), du coton, du parfum. Je crois que ce devait être Azzaro car rien que de le sentir encore me fait recroqueviller les arpions. Le souvenir olfactif de cette fragrance me provoque un étranglement. Et je commence… Mal. J’utilise le coupe-ongles et j’essaie de tirer le harpon qui est prit dans ma chair. Une décharge vive, pointue, me fait tout lâcher. Alors j’essaye d’y aller par petits morceaux pour enlever de la matière mais je commence à saigner. Je nettoie la plaie avec le parfum et la brûlure s’ajoute à la douleur déjà présente. Je retiens mon cri. Je n’arrive même plus à toucher du doigt mon orteil car toute la zone n’est plus qu'un immense incendie qui vibre au rythme de mon cœur qui s’affole. J’ai même l’impression que ce dernier est carrément dans mon orteil à vif et qu’il en fait exploser chaque parcelle. Je m’écroule, reprend mon souffle. Et à ce moment où tout enfant normal irait voir ses parents en disant qu’il a besoin d’une pédicure, je me dis que je vais y arriver tout seul. Une rage froide me prend, je bloque ma respiration et j’écartèle le coté de mon orteil. Le sang jaillit à nouveau. Je prends du coton et essuie d’un grand geste. Je profite des quelques secondes de visibilité pour prendre le cutter et trancher du bout de l’ongle jusqu’à la racine. Mais quand je touche le rhizome la souffrance est tel que mon cerveau tilte. Je lâche tout et m’évanouis presque. Je me remets. Je n’ose plus toucher. Je bourre de coton pour arrêter l’hémorragie. Je suis dans un état second. L’ongle coupé est encore fiché dans la viande. J’ai trop peur de l’enlever. Les larmes de douleurs coulent sur mes joues et je suffoque. Puis, bizarrement le tourment est si intense que son écho devient presque plaisant, berçant, langoureux. Mon esprit se laisse hypnotiser par cette douce sensation. Comme guidé par elle, mes doigts glissent le long de mon pied, enlèvent le coton, prennent doucement les côtés de la plaie. Je ne regarde même pas, je ne fais que suivre les sensations. J’utilise la douleur comme une information intense, je l’embrasse. Presque délicatement alors qu’un typhon de sensations extrêmes me torture, je retire avec deux doigts le morceau d’ongle coupé. Là encore un intense supplice au goût métallique éclate dans ma bouche mais il a le goût de la victoire. Je reprends mon souffle. J’ai passé un cap. Je le sais, j’ai presque aimé cette sensation fulgurante. Je l’ai vécu comme au ralenti, à la fois groggy et emporté par elle. Je sais que je ne dois pas me reposer car j’ai un second orteil en pire état. Presque cérémonieusement, je me plie à la douleur maîtresse qui me guide pour agir. Je dois trouver l’équilibre entre les gestes volontaires et ne pas succomber. A la fois accepter, aimer la souffrance, tout en continuant de couper, écarter, tirer, extirper. Dans un état cathartique, je fais l’opération en quelques minutes seulement. Je m’aperçois que je transpire à grosses gouttes. La souffrance irradie si fort qu’elle bloque mes muscles jusqu’au genou. Mais j’avance, je m’exécute, comme un Masoch en herbe, je suis le bourreau et la victime. Je profite de mon état de sérénité pour bien nettoyer mes plaies, faire des mèches de coton et panser. Le lendemain ne fut pas merveilleux mais un soulagement.. Mes pieds saignaient mais après l’expérience de la veille, j’avais l’impression que mes chaussures 6 points étaient des chaussons. Plus tard je suis allé voir une podologue. Quand elle a vu les dégâts, elle m’a regardé étrangement. Elle a essayé d’arranger les choses mais il y avait beaucoup trop de dommages et la punition devint inévitable. Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai demandé quelques instants. J’ai laissé mon corps se détendre et accepter la sentence du scalpel. Elle sentait que j’avais mal et ne comprenait pas comment je résistais. J'ai tenu jusqu'à la toute fin où un coup de bistouri toucha le nerf directement et que je hurle. Je vous jure que c’est vrai : j'étais tendu mais serein alors que la doctoresse avait les larmes qui coulaient. Quelques années plus tard, il a fallu que je subisse une opération sous anesthésie locale pour réparer tout ça. C’était 2 mois avant le bac. Je me baladais avec des pompons de gaze dans des savates découpées pour assister aux derniers cours avant les grandes épreuves. Et enfin, au travers des arts martiaux, j’ai appris à localiser et bloquer la douleur. Je n’y arriverais pas aussi bien si je ne l’avais pas rencontrée d’aussi près et, je crois, embrassée et aimée. Perfer et obdura; dolor hic tibi proderit olim "Sois patient et résiste; un jour cette douleur te sera utile" Ethan
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Ethan, adepte du BDSM, dominant, explorant une philosophie humaniste au travers d'une pratique socialement en marge. Archives
Novembre 2023
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